D’une morale d’esclaves à une morale émancipatrice des femmes
Conférence de Juan José Tamayo (*)
Préambule :
Du 4 au 6 avril 2019 s’est tenu à l’Université Miguel Hernández, de Elche (Alicante, Espagne), le Premier congrès International sur les comportements masculins et l’égalité : à la recherche des bonnes pratiques de comportements masculins égalitaires dans le circuit de l’Université. Plus de 300 personnes ont assisté à ce congrès. J’ai été invité à donner une conférence sur le thème « Dioses varones, comportements masculins sacrés et violence contre les femmes », laquelle a eu un excellent accueil.
L’un des moments les plus frappants de cette conférence a été ma réflexion d’une part, sur la morale que les religions – ou plutôt d’une bonne partie de leurs dirigeants – imposent aux femmes ; d’autre part, la présentation d’une alternative d’émancipation. J’ai résumé mon exposé dans les deux décalogues que je veux partager ici.
- Décalogue de la morale d’esclaves et subalternes imposée
par les religions aux femmes :
* Obéir aux parents, aux époux, aux patrons, aux enfants, etc.
* Se soumettre, ainsi que la Bible l’ordonne dans une lecture fondamentaliste (par exemple, La Lettre aux Ephésiens), que la journaliste italienne Constanza Miriano illustre dans son libre « Marie-toi et sois soumise ».
* Endurer face aux insultes, mauvais traitements, agressions verbales ou physiques, abandons, trahisons…
* Supporter tous le poids qu’on lui met sur le dos, comme si elle était une bête de somme.
* Se sacrifier pour les autres notamment pour les enfants, l’époux, etc. . .Dire d’une femme qu’ « elle est prête à tout sacrifier » c’est un éloge et non une humiliation.
* Prendre soin des personnes dépendantes, malades, des époux, enfants, pères, mères et autres parents ayant des situations difficiles physiques ou psychiques… Même des plantes vertes ! Prendre soin est considéré comme la vocation, la destinée de la femme. Si elle ne s’y plie pas, elle sera traitée de fainéante. En revanche, si l’homme ne s’applique pas à prendre soin des gens, des choses… c’est parce qu’il a une mission supérieure, d’autres tâches plus importantes.
* Dépendre de, ne pas avoir une vie propre, manquer d’autonomie, d’indépendance dans la pensé et dans l’agir. On dit « qui dépend d’une autre personne ne se trompe jamais ».
* Pardonner, toujours pardonner, quelle que soit l’offense ou l’affront, y compris au violeur dans le cas d’agression sexuelle.
* Être humble, femme discrète, modeste, attentionnée, ne doit pas attirer l’attention sur elle, invisible, recluse dans le foyer (la femme « ange du foyer »), cela veut dire, en synthèse, s’humilier.
* Renoncer au plaisir, à profiter de la vie, au loisir, à se relaxer. On dit : « la femme se doit d’être travailleuse, toujours occupée ».
- Décalogue alternatif de l’éthique de l’émancipation des femmes :
* Résister au patriarcat, à la misogynie, au sexisme, à l’endoctrinement et ses impositions. Le patriarcat est une prison dont il faut se libérer.
* Se rebeller contre l’arbitraire imposé aux femmes comme une vérité. Mary Wollstonecraft affirme : « Les femmes ne doivent se plier qu’à l’autorité de la raison ».
* Dire non sur tous les plans : sexuel, affectif, intellectuel, moral. « Non c’est non »
* Partager les soins, les tâches domestiques. L’éthique du coeur n’appartient pas par nature aux femmes ; elle n’est pas non plus leur devoir exclusif ; elle doit être pratiquée autant par les hommes que par les femmes.
* Prendre du pouvoir contre l’exigence qui leur est faite de s’humilier.
* Être autonome, indépendante : avoir un projet de vie propre. D’après Mary Wollstonecraft : « L’usage de la raison est la seule chose qui nous rend indépendantes ».
* Exiger le pardon devant les agressions, exiger la repentance, le dédommagement, l’engagement à changer comme conditions nécessaires pour pardonner.
* Affirmer et défendre son corps. Eduardo Galeano affirme : « La science dit : le corps est une machine. Le marché dit : le corps est une affaire. L’Église dit : le corps est un péché. Le corps dit : je suis une fête ».
* Défendre l’égalité entre les hommes et les femmes : Mary Wollstonecraft affirme : « Les inégalités entre les hommes et les femmes sont aussi arbitraires comme celles qui font référence au rang, à la classe, aux privilèges ».
* Avoir le sens de la fête : profiter, jouir de la vie, de l’amitié, du travail.
L’éthique féministe doit obéir à l’impératif établi par la philosophe féministe Mary Wollstonecraft (1759-1797) : « Je ne veux pas que la femme domine l’homme, mais qu’elle soit maîtresse d’elle-même ».
(*) Juan José Tamayo est directeur de la chaire de Théologie et Sciences des Religions à l’Université Carlos III de Madrid et secrétaire général de l’Association de Théologiennes et théologiens Jean XXIII. Ses derniers ouvrages sont : Teologías del Sur (Théologies du Sud) ; El giro descolonizador (Trotta, 2017) (Le tournant décolonisateur) ; Ha muerto la utopía ? ¿Triunfan las distopías ? (Biblioteca Nueva, 2018) (L’utopie , est-elle morte ? Les dystopies , triomphent-elles ?) ; De la Iglesia colonial al cristianismo liberador en América Latina (Tirant lo Blanch, 2019) (De l’Église coloniale au christianisme libérateur en Amérique Latine).