Les affrontements autour du genre se montrent d’autant plus durs qu’ils remettent aujourd’hui en cause les attributions sociales dévolues à l’un et l’autre sexe. ¨Pour les tenants des ancrages familiaux et sociaux établis chez nous, les rôles traditionnels découleraient nécessairement de la physiologie masculine et féminine. Cette répartition est issue le plus souvent des tâches à accomplir prioritairement pour la survie et le développement du groupe humain dépendant en partie du lieu où il est installé. Actuellement les codes sociaux mis en place jadis maintiennent l’infériorisation de la femme, en cantonnant celle-ci dans les rôles où la force physique des mâles l’a assignée. Cette domination machiste s’accompagne habituellement de tous les privilèges du maître sur ses subordonnés. La raison du plus fort est toujours la meilleure constatait le fabuliste Jean de La Fontaine. Il serait grand temps qu’une réelle parité sexuelle succède à une hiérarchisation des sexes, cette dernière fonctionnant essentiellement à l’avantage des mâles, avec tout l’androcentrisme qui enveloppe la plupart de nos institutions, civiles ou religieuses.
En Occident, les combats pour l’égalité entre les sexes en tous domaines rejoignent de nos jours ceux menés en faveur de l’égalité des races.
Les opposants aux revendications du genre, qu’ils taxent abusivement de féministes, confondent le sexe social et le sexe biologique ; Comme si ce qui vient de la culture venait directement de la nature, et d’une nature imaginée imperméable à toute autre culture. Cette crispation relève d’un fantasme niveleur. En effet l’approche et la fréquentation de cultures non-occidentales nous démontrent clairement que la répartition des rôles de la masculinité et de la féminité provient d’une logique particulière, relativisant ainsi la nôtre et ses prétentions à l’universalité.
Osons nous interroger sur la maintenance des stricts cloisonnements mis en place par nos ancêtres, et concernant les attributions revenant à l’un et l’autre sexe. Ne rentrent-ils pas aujourd’hui en conflit avec les changements et les évolutions de nos environnements culturels et sociaux contemporains ? Ne sont-ils pas un frein à l’enrichissement réciproque, qui accompagnerait une redistribution des cartes, favorisant un jeu relationnel davantage diversifié, tant pour la femme que pour l’homme ? Autrement dit, pourquoi enfermer nos contemporains dans des rôles liés prioritairement à leur appartenance génitale ? Ne pourrait-on pas enfin estimer que la personne vaut bien davantage que son identité anatomique ? Prétendre que les stéréotypes touchant les repères et les tâches du féminin et du masculin se trouvent inscrits de façon indélébile dans le marbre de la nature, cela engendre aussi le refus de prendre positivement en compte celles et ceux qui s’estiment davantage partagés entre le féminin et le masculin, une portion non négligeable des êtres humains marqués par l’homosexualité, la bisexualité, la transsexualité et la transidentité, toutes ces composantes de personnes qui souffrent ordinairement d’une étiquette sociale dévalorisante. Le fait de relever d’une minorité, c’est tout autant respectable que l’appartenance à une majorité. Il serait monstrueux de tenir pour des aberrations toutes les minorités. Certaines mises en carte relèvent d’un esprit totalitaire.
Le respect d’une certaine plasticité sexuelle n’équivaut nullement à une dépréciation de l’hétérosexualité, celle qui, traditionnellement, permet la reproduction humaine. L’interchangeabilité sexuelle n’est nullement le projet de l’ensemble des adeptes de la théorie dite du genre, à l’exception de quelques uns d’entre eux qui ne mesurent pas la contre-productivité du combat qu’ils prônent. Il ne s’agit donc pas, pour les plus censés de nos contemporains, d’une possible inversion identitaire répondant à une fantaisie destinée à tenter sa chance dans l’identification avec l’autre sexe et cela après avoir éprouvé les limites d’une première appartenance sexuelle. Il convient tout simplement de tenir compte de l’écart plus ou moins grand entre l’anatomie déclarée et les désirs qui travaillent en profondeur telle ou telle fraction de notre commune humanité.
L’ouverture en faveur de l’altérité et de la diversité sexuelles propose un élargissement de l’accueil aujourd’hui fort restrictif offert par l’Église catholique à ses adeptes. Assurément cette nouvelle anthropologie affinée, avec ses allures combattantes, inquiète la hiérarchie de l’Église romaine. Celle-ci se déclare à l’aise avec la stricte bipolarité sexuelle enseignée depuis des siècles. De plus, elle estime cette dernière relativement indispensable pour continuer à soutenir que la masculinité du sacerdoce ordonné relève de l’exemplarité de Jésus de Nazareth, homme et non pas femme. Cette exclusion des femmes va même parfois jusqu’à refuser l’ordination sacerdotale d’hommes mariés. A contrario, elle accepte à la prêtrise des hommes reconnus comme homosexuels. Comme si la participation du féminin entachait le culte catholique. Mais notre Église mesure-t-elle l’immensité des pertes humaines et spirituelles ainsi subies, lorsqu’elle maintient de façon crispée cette compréhension sélective de la bonne Nouvelle, alors qu’elle est pratiquement la seule, parmi les Églises chrétiennes à défendre bec et ongles la discipline qu’elle a établie ?
Michel Legrain – Mai 2014
Merci au père Michel Legrain qui a bien voulu nous confier cet article