Les représentations catholiques du genre

Alice Gombault nous donne ici une synthèse des évolutions de l’image et du rôle des femmes ces dernières décennies dans l’Église catholique gouvernée par des hommes

« Il me semble que la société civile n’est pas assez attentive à l’influence qu’exerce l’Église catholique sur les représentations du masculin et de féminin qu’elle véhicule et défend. Je parle ici de l’Église catholique dans les  pays christianisés depuis longtemps. Peut-être que des musulmans pourraient faire la même remarque dans les pays sous influence de l’Islam, mais je ne m’aventurerai pas sur ce terrain que je maîtrise pas.

Mon hypothèse est que l’Église catholique a contribué à modeler et à imposer des images du féminin et du masculin qui sont devenues normatives et qui semblent encore « naturelles » à beaucoup.

Je n’oublie pas que les progrès de la société civile influence aussi l’Église catholique, car son discours évolue. Il y a des énormités sur l’infériorité des femmes ou leur caractère impur qu’elle ne peut plus dire. Par contre, sur le terrain concret de ses pratiques et dans son fonctionnement, les faits ne suivent pas son discours théorique. Une organisation qui justifie l’exclusion des femmes de ses postes d’autorité et de représentation symbolique est porteuse d’un modèle qui légitime des pratiques similaires dans d’autres domaines profanes.

Un groupe comme Femmes et Hommes en Église, fondé en 1970, s’est saisi de cette interaction entre Église et société dans la difficile relation entre hommes et femmes.

Une image de la femme

Quelle est l’image que l’Église donne de la femme ? L’hypothèse que je fais est que cette image est toujours présente plus ou moins confusément, dans nos sociétés, dites laïques, et légitime leurs pratiques sexistes. De cette image, se dessine en creux une image de l’homme. Homme et femme sont en interaction et l’un risque d’être  privé de ce qu’on attribue à l’autre et réciproquement.

L’infériorité des femmes

Ce fut l’argument le plus utilisé dans l’histoire (imbecillitas sexus) pour éloigner les femmes de toute fonction d’autorité. Quelques citations des Pères de l’Église vaudront mieux qu’un long discours. Grégoire de Nysse (IV ème siècle) : « Seuls des hommes peuvent affronter les conséquences du savoir, tandis que la faiblesse des femmes, comme Eve l’a montré, ne convient pas aux études ». St Augustin : « Selon l’ordre de la nature, il convient que la femme soit au service de l’homme, car ce n’est que justice que le moins doué soit au service du plus doué ». Et pour St Thomas d’Aquin en plein XIIIème siècle : « Le sexe féminin ne peut signifier quelque supériorité de rang car la femme est en état de sujétion. Elle ne peut donc recevoir le sacrement de l’ordre. » .  Le sacrement de l’ordre est celui qui fait entrer dans la prêtrise, dans le groupe des clercs,  situé à part et au-dessus du peuple des laïcs. On trouve là la première acception du mot « laïc » qui signifie qui n’est pas clerc. Cet argument est abandonné officiellement, mais l’Église continue à ne pas ordonner de femmes.

Des propos nouveaux

C’est dans la lettre apostolique sur la vocation et la dignité de la femme Mulieris dignitatem (1988) que l’on trouve pour la première fois sous la plume d’un pape des propos nouveaux concernant la relation entre femmes et hommes. Jean-Paul II parle d’égalité essentielle et de parfaite réciprocité entre eux. C’est ainsi qu’Eve n’est plus l’aide d’Adam, mais qu’il s’agit d’une aide réciproque que la soumission des femmes (Epître aux Ephésiens) devient une soumission non plus unilatérale mais bien réciproque. Cette nouvelle vision, qui a été qualifiée de « féministe », s’est poursuivie en juin 1995, juste avant la conférence de l’ONU  à Pékin sur les femmes, quand il a écrit aux femmes du monde entier. Le pape y exprime des regrets et reconnaît la responsabilité que porte l’Église dans la dénaturation et la réduction en esclavage des femmes ; il reconnaît la violence qui s’exerce contre elles et il proclame l’égale  responsabilité de l’homme et de la femme dans la construction de l’histoire. Ces propos qui vont jusqu’à reconnaître que la domination des hommes sur les femmes est une situation de péché et une rupture de l’équilibre voulu par Dieu rétablissent les femmes dans leur dignité.

La nature de la femme

Malgré ces beaux efforts, « l’humanité féminine », selon une belle expression de Jean-Paul II reste abusivement marquée par son appartenance sexuelle : son mystère est d’être « vierge, mère, épouse ». On disait autrefois : Tota mulier in utero.  Et il en reste des traces. L’humanité masculine, elle, semble transcender son appartenance sexuelle. Il n’est nulle part fait allusion à une prédisposition innée de l’homme masculin à la vocation d’époux, de père ou de vierge. La belle réciprocité qui se dégageait des lectures précédentes est rendue impossible par l’assignation des femmes à une vocation conforme « au dessein de Dieu »(donc difficilement contestable), dans laquelle l’asymétrie des relations est de rigueur. Car « l’époux est celui qui aime. L’épouse est aimée : elle est celle qui reçoit l’amour, pour aimer à son tour ». On retrouve ici le vieux schéma : actif/passif, légitimé et sacralisé en quelque sorte par une référence directe à Dieu.

Dans la Lettre aux femmes du monde entier de 1995, le pape expose (et impose) son image de La Femme : une image de La Femme en soi, et non dans une relation évolutive à l’homme, une image de La Femme universelle et éternelle et non des femmes diversement situées. Il parle du « génie féminin » qui s‘incarne à la façon de Marie dans le service et non dans les prises de décision ou le nécessaire exercice du pouvoir.

Il ne s’agit pas de caricaturer l’image de la femme qui se dégage des textes pontificaux, puisque, dans la Lettre envoyée aux évêques par la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde, en juillet 2004, Josef Ratzinger, non encore pape, reconnaît que les valeurs dites féminines : capacité de l’autre, activités d’éveil et de protection, relation, accueil, écoute, humilité, fidélité, attente… sont « avant tout des valeurs humaines de l’homme et de la femme […] Tout être humain , homme et femme, est destiné à être « pour l’autre ». Dans cette perspective, ce qu’on  nomme « féminité » est plus qu’un simple attribut du sexe féminin. Le mot désigne en effet la capacité fondamentalement humaine de vivre pour l‘autre et grâce à lui ». C’est la fin, pense-t-on, en lisant cela, de l’assignation des femmes à des vertus et des comportements qui les enferment dans un « éternel féminin » et la fin aussi du carcan masculin correspondant qui rendent les hommes interdits d’émotion et de capacité à la relation. Mais il y a un bémol à cette belle ouverture : « La femme est plus immédiatement en syntonie avec ces valeurs » et « il appartient à la femme de les vivre avec une particulière intensité et avec naturel » (n°14).

Le genre

Il est difficile à l’Église de sortir de l’idée qu’il existe une nature féminine radicalement différente de celle de l’homme. C’est au nom d’une vocation spéciale attribuée à  la femme que l’ordination est réservée aux hommes.  Les textes officiels s’étendent toujours beaucoup sur la « nature » de la femme, alors qu’on n’a habituellement aucun élément sur celle de l’homme et sur les capacités avec lesquelles il serait en « syntonie ». J’attribue cette absence de discours sur l’homme, au fait qu’il est encore considéré comme le prototype de l’humanité, duquel il n’y a rien à dire, la femme reste l’autre, la différente, la mystérieuse, celle dont on n’a pas fini de parler, surtout quand on est homme, célibataire par statut. Les anthropologues s’accordent aujourd’hui pour considérer que les qualités, rôles et fonctions des hommes et des femmes sont d’ordre culturel. C’est ce qu’on appelle le genre, ou construction sociale du sexe. Indiscutablement, l’Église catholique, dans ses textes et ses pratiques, contribue à la construction du genre. Mais elle ne s’en rend pas compte, persuadée que son image des sexes est directement issue de la nature et qu’il ne peut en exister d’autres. En effet,  dans cette même lettre du cardinal Ratzinger, le genre fait peur. Valoriser la construction culturelle du sexe reviendrait, d’après lui, à nier la différence et la dualité des sexes inscrites dans la biologie. Il y a comme une crainte obsessionnelle masculine que la femme ne perde son caractère féminin. Tout effort pour dépasser les déterminismes biologiques est soupçonné. Pourtant aucun domaine aujourd’hui ne peut éviter l’analyse en terme de genre.

La pratique de l’Église

Dans la pratique, on assiste à une situation contrastée. Les femmes exercent des ministères de fait et par ailleurs l’accès des ministères ordonnés, qui cumulent les pouvoirs de gouverner, d’enseigner, de sanctifier par les sacrements, leur est interdit.

Les ministères féminins de fait

Des milliers de femmes exercent un ministère dans l’Église. Il faut entendre le mot « ministère » comme un synonyme de service. Des hommes aussi assurent des services, mais à plus de 90 %, ce sont des femmes. Elles assurent la catéchèse des enfants en paroisse  et des jeunes en aumônerie, la préparation aux sacrements : baptême, communion, confirmation, mariage. Elles organisent les sépultures, préparent les liturgies, assurent l’accueil, font chanter…etc. Quelques-unes sont dans des services diocésains ou siègent au conseil épiscopal. Ce sont un peu des femmes alibis. On les met en avant :  « Voyez, il y a des femmes parmi nous ». La pénurie de prêtres leur permet parfois une vraie responsabilité.

Pour accéder à la parité hommes/femmes dans l’Église, valoriser ces  ministères de fait est une voie nécessaire, mais limitée. On recommande à ces femmes de rester discrètes, de mener un féminisme sans bruit et de demeurer dans une certaine subordination : elles sont le « bras droit » ou le « vicaire »…De plus, ne nous leurrons pas : en cas de litige ou de simple différend  entre prêtre et laïc, c’est toujours le prêtre qui aura raison.

C’est aussi à partir de ces ministères exercés de fait que les mentalités évoluent et ne se formalisent plus de l’approche de l’autel par des femmes, par ailleurs en responsabilité d’un service d’Église. Ces femmes, en position ministérielle, provoquent parfois l’étonnement, rarement l’hostilité et très vite l’accueil et la reconnaissance d’une relation plus proche et plus simple. C’est important à souligner car on oppose souvent aux responsabilités ecclésiales des femmes le fait que les mentalités ne sont pas prêtes.

Il y aurait aussi tout un chapitre à  ouvrir sur la sacralisation qui s’attache aux ministères ordonnés et que la présence des femmes contribue à désacraliser. On sait combien celles-ci, possédant leur propre sacré du fait de donner la vie, sont interdites de sacré religieux, de façon assez générale. C’est toute la sexualité qui est ainsi visée, celle des femmes d’abord, mais aussi celle des hommes. On connaît les lois si minutieuses de l’Église qui régissent la sexualité humaine, déniant aux hommes et aux femmes leur propre responsabilité en ce domaine. Un authentique christianisme aurait dû nous libérer de ces forces occultes, mais il semble que cette empreinte anthropologique marque encore fortement nos comportements irrationnels.

Les ministères ordonnés et les femmes

Les femmes incitées dans les textes romains à prendre des responsabilités dans la vie civile, se voient, dans leur Église, empêchées de donner leur pleine dimension à leur ministère de fait.       Trois textes majeurs sont intervenus pour interdire l’accès des femmes au ministère ordonné.

Le premier texte date de Paul VI, Inter insignores, en 1977. Il semble qu’avant cette date, il n’y ait pas eu besoin d’un texte aussi clair sur le refus des femmes. L’Église comme la société réservait des rôles différenciés aux hommes et aux femmes et cette pratique était intégrée par les  mentalités sans poser grand problème. Mais à partir de cette époque, les effets du changement du statut des femmes, sur le plan social, familial, juridique  et économique, se font sentir. Leur exclusion de certains domaines et des postes de responsabilité est perçu comme une discrimination sur la base de l’appartenance sexuelle. L’Église s’est cru obligée de légiférer sur cette question et de confirmer  les normes en vigueur sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce. L’Église ne l’a jamais fait. C’est l’argument utilisé.

Puis ce fut la Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis publiée en 1994 qui déclare l’ordination exclusivement réservée aux hommes et la question définitivement close. De fait, le premier texte de Paul VI n’avait pas empêché la poursuite de la promotion des femmes dans les sociétés occidentales et en même temps, leurs pratiques ecclésiales naguère réservées au prêtre, dues à la raréfaction de ceux-ci. Comme nous venons de le voir, on se trouve devant des ministères de fait exercés avec compétence par des femmes et appréciés dans les communautés où elles sont implantées.

Par ailleurs, en1992, l’Église anglicane  a voté le principe de l’ordination des femmes. Les conclusions théologiques des anglicans divergent de celles de l’Église catholique.

Ces diverses raisons ont donc vraisemblablement pesé sur cette Lettre apostolique sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes de 1994. Mais, les protestations, la relance de la recherche théologique et biblique, les réflexions issues de la pratique pastorale ont eu l’effet inverse à l’effet souhaité, puisqu’au lieu de se clore la question s’est ouverte de plus belle.

Quelques mois plus tard,  il a donc fallu employer cette fois-ci l’artillerie lourde par  une note de la Congrégation pour la doctrine de la foi (1995), signée du Cardinal Ratzinger, pour préciser le statut d’Ordinatio sacerdotalis. Celle-ci  engage l’infaillibilité du magistère sur une doctrine d’exclusion des femmes de l’ordination à la prêtrise qui est présentée comme appartenant au dépôt de la foi et exigeant un assentiment définitif. D’une règle, qu’on pouvait penser seulement disciplinaire et historique, on a fait une doctrine de foi.

On peut constater  une véritable escalade dans le verrouillage. Ce qui faisait dire au Père de la Brosse, alors porte-parole de l’épiscopat français : « Lorsqu’on n’obtient pas un assentiment des esprits par la voie intellectuelle, on verrouille par la voie juridique (…) . C’est une constante de l’histoire de l’Église ».

Qu’a produit ce blocage ?

En 2002, des femmes catholiques sont passés à l’action, majoritairement allemandes et autrichiennes. Elles sont humainement et théologiquement de haut niveau. Leurs diplômes (doctorats) et leurs responsabilités dans l’Église plaident pour elles. Malgré leur travail théologique, leur volonté de dialogue, rien n’a bougé dans le magistère catholique, au contraire. C’est pourquoi, à leur demande, un évêque, en rupture avec Rome, et peut-être d’autres, ont procédé à l’ordination de sept d’entre elles, le 29 juin 2002 sur un bateau croisant sur le Danube. D’autres ordinations vont succéder à cette première. Trois femmes furent consacrées évêques. En juin 2004, devant 120 invités, six femmes furent ordonnées diacres, originaires, deux des État Unis, une du Canada, une de Suisse, une de Lituanie et une de France. Dix femmes ont été ordonnées cette année, comme prêtres ou diacres. La française Geneviève Beney a été ordonnée à la prêtrise le 2 juillet 2005 sur un bateau croisant sur la Saône et le Rhône, déchaînant les médias. Le 25 juillet ce fut sur le Saint-Laurent, dans les eaux internationales. Une poignée de femmes participaient à la formation en 2003. Aujourd’hui, c’est une soixantaine de femmes qui suivent le cycle de formation au ministère de prêtre, dirigé par Patricia Fresen qui a consacré de nombreuses années à la formation des prêtres hommes en Afrique du Sud.

Les réactions de l’Église romaine ne se sont pas fait attendre. Le 5 août 2002, tout juste cinq semaines après les premières ordinations, les sept premières femmes ont été excommuniées. Ce qui leur fait dire qu’elles avaient effectivement touché le gouvernement de l’Église au point le plus sensible à savoir sa base idéologique.

La mobilisation médiatique autour des ordinations de femmes montre combien le sujet possède une charge symbolique et politique forte. Voie unique, pour faire avancer la cause des femmes dans l’Église comme dans la société, certes pas, mais peut-être aussi voie incontournable. Pratique de quelques femmes isolées ou vague de fond déferlante et irrépressible ? Renforcement du système clérical ou fer rouge porté au cœur même du système dans ses composantes sacrales ? Actes sacrilèges ou prophétiques ? Seul l’avenir nous dira les effets produits par ces pionnières.

Conclusion

On constate que pour honorer les idéaux républicains de liberté, égalité, fraternité, largement inspirés de la tradition chrétienne, l’État s’est donné des lois en ce qui concerne les femmes : loi sur l’égalité des salaires, non discrimination, loi sur la parité… Il n’y a plus d’obstacle juridique au plein épanouissement des femmes. Le sexisme s’attarde dans les mœurs, mais non dans les lois. En ce qui concerne l’Église, le sexisme est présent à la fois dans les lois et dans les mœurs. On en arrive à ce paradoxe que les valeurs évangéliques sont mieux mises en pratique dans la société civile que dans l’Église institutionnelle. L’Église, au regard du droit canonique demeure une « societas inaequalis ». L’égalité du baptême inclut l’inégalité due à la catégorie sociale et au sexe (art. 208 CIC). L’Église, si on la regarde à travers le code de droit canonique apparaît comme une théocratie, une monarchie absolue, une patriarchie, une société de classes, une hiérarchie, une société féodale… Cela fait rêver quelques nostalgiques, mais il faut être vigilant sur les conséquences d’une telle vision du monde, notamment en ce qui concerne une relation équilibrée et harmonieuse entre les hommes et les femmes. »

Alice GOMBAULT – FHEDLES

« Les représentations catholiques du genre », pour le Groupe Crémieux, 20 octobre 2005

Auteurs·trices : Alice Gombault

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