Ministres du Christ au service des communautés
Dans Le Monde du 4 avril 2010 (jour de Pâques), les propos de l’évêque Albert Rouet sont éclairants : « Tout système clos, idéalisé, sacralisé est un danger » … Il faut « revenir à l’Evangile ; la faiblesse du Christ est constitutive de la manière d’être de l’Eglise…
Nous sommes à la fin d’une époque. On est passé d’un christianisme d’habitude à un christianisme de conviction… Nous sommes en train de muter. Quand on s’adapte aux gens, à leur manière de vivre, à leurs horaires, la fréquentation augmente. »
Qu’en est-il des paroisses et de leurs prêtres ? « Aujourd’hui le diocèse de Poitiers a 200 prêtres (au lieu de 800 il y a 70 ans), mais il compte aussi 45 diacres et 10 000 personnes impliquées dans les 320 communautés locales que nous avons créées il y a quinze ans ».
Des prêtres moins nombreux mais à visage nouveau.
« Le prêtre ne doit plus être le patron de sa paroisse; il doit soutenir les baptisés pour qu’ils deviennent des adultes dans la foi, les former, les empêcher de se replier sur eux-mêmes. C’est à lui de leur rappeler que l’on est chrétien pour les autres, pas pour soi; alors il présidera l’eucharistie comme un geste de fraternité. »
Ces prêtres exercent leur ministère un peu à la manière missionnaire de Paul, Sylvain et Timothée au 1er siècle. Ceux-ci allaient d’Eglise en Eglise, confortant les communautés locales, et confiant l’administration des sacrements aux presbytres locaux. Paul le dit lui-même : « je n’ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus » (1Co 1,14).
A Poitiers comme ailleurs, les prêtres visiteurs doivent assurer aussi le cultuel, autrement dit faire le missionnaire et le presbytre. La « nouveauté » tient donc surtout au mode itinérant du prêtre. Même s’il n’est plus le « centre » de la paroisse, il continue à concentrer sur sa personne les pouvoirs d’enseigner, de gouverner et de sanctifier. De ce point de vue, il ne dérange pas l’Institution romaine.
Il ne remet pas non plus en cause le principe de la participation hebdomadaire à une eucharistie, même si c’est pratiquement irréalisable en de nombreux endroits. Dans de vastes pays comme le Brésil, c’est même 80% des célébrations hebdomadaires qui sont sans eucharistie ! Comment supporter plus longtemps un tel écart avec le vœu du Seigneur : « Faites cela en mémoire de moi » ?
Bientôt –et déjà nous y sommes– le nombre des prêtres va atteindre le seuil critique. C’est ce que souligne Vincent Feroldi, prêtre de Lyon, dans Le Monde du 10/4/2010 : «Les prêtres diocésains, à leur grand regret, ne peuvent plus pourvoir à la demande de leurs fidèles, désireux de participer chaque semaine à l’eucharistie… Beaucoup d’hommes et de femmes de notre temps, catholiques ou non, appellent l’Eglise catholique à s’ouvrir à la tradition antique des Eglises d’Orient en matière de discipline ecclésiastique… Que le célibat ne soit plus une obligation…. Il y a urgence à ce que l’Eglise invente et réinvente les ministères dont, aujourd’hui, elle a besoin ».
Et là on prend conscience d’un chaînon manquant : les presbytres de jadis. L’aggiornamento s’arrête au milieu du gué.
Les presbytres au 1er siècle
Paul, comme Pierre et les autres apôtres, avait le souci de ne pas laisser orphelines les communautés petites ou grandes. Il écrivait à son disciple Tite : « Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour y achever l’organisation et pour établir dans chaque ville des presbytres » (Tite, 1,5). Même réalisme dans l’épître aux Ephésiens : Chacun de nous a reçu le don de la grâce comme le Christ l’a partagée : apôtres, prophètes, missionnaires, pasteurs, enseignants… De cette manière le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le Corps du Christ. » (Eph.4, 7, 11-12).
Paul ne craignait pas le rapprochement « saint » et « organisation ». Des siècles de chrétienté nous ont habitués à rapprocher « peuple saint » de « ministres sacrés » célibataires masculins.
Les communautés vivantes de Poitiers et d’ailleurs s’appuient sur quelques personnes ressources, parmi lesquelles un ou une animatrice pour la prière communautaire et (une autre) pour faire le lien. Qu’attendent les évêques pour imposer les mains à ces personnes qualifiées (moyennant sans doute un complément de formation) ? Que Rome donne le feu vert ? Mais ça ne se fera pas si les conférences épiscopales ne parlent pas haut et fort !
Oui, imposer les mains à des hommes mariés, dans un premier temps, et pourquoi pas ensuite à des femmes ? Des théologiens de premier plan, comme le Père Hervé Legrand, avancent des arguments toujours valables, même après « Ordinatio sacerdotalis » de Jean-Paul II, pour leur ouvrir la porte des ministères (voir ci-dessous en page 3).
Objections d’Albert Rouet
Quant à l’ordination d’hommes mariés, le Père Rouet exprime deux objections qui étonnent bon nombre de ses lecteurs :
1) «Ils devraient travailler et ne seraient disponibles que les week-ends pour les sacrements. On reviendrait alors à une image cultuelle du prêtre. Ce serait une fausse modernité.» ;
2) leur prise en charge financière serait dissuasive : « Imaginez que demain je puisse ordonner dix hommes mariés,… Je ne pourrais pas les payer. »
Ces objections sont-elles vraiment sans réponse?
1) Image cultuelle et fausse modernité
« On est passé d’un christianisme d’habitude à un christianisme de conviction. », dit A. Rouet. Précisément pour cette raison de conviction chez les baptisés, un ministre ordonné principalement pour présider l’eucharistie dominicale ne serait pas en situation désuète, pas plus que ne l’est un prêtre marié orthodoxe qui assure chaque semaine la « divine liturgie », ou le pasteur protestant présidant le culte avec le sérieux que l’on sait, tout en exerçant parfois une profession à temps partiel ou à plein temps.
« Source et sommet de la vie chrétienne » selon Vatican II, la célébration dominicale n’est plus comprise comme cette petite heure rituelle à laquelle jadis chaque chrétien devait se plier au nom d’un « commandement de l’Eglise ». La messe dominicale répond à une faim réelle, le besoin vital d’une parole de Dieu nourricière et d’un pain eucharistique partagé et source de communion. Ce qui suppose une bonne préparation, en lien avec d’autres. Ce n’est donc pas peu de chose, et c’est de la vraie modernité, dans le sens d’une actualité toujours brûlante dans les petites communautés partout dispersées.
Se réunir pour une eucharistie au lieu d’une ADAP a vraiment du sens. Pourquoi faudrait-il courir à 10 ou 20 km pour cela ? Oui à l’eucharistie au cœur du village, chaque dimanche, quand c’est possible.
Visage du presbytre selon St Paul
Comme au temps de St Paul, il suffit que « l’ordonné/e » mène une vie chrétienne en conformité avec l’Evangile: « être irréprochable, n’avoir qu’une seule femme (un seul conjoint), être sobre, pondéré, courtois, hospitalier, bienveillant, apte à l’enseignement, ni buveur ni batailleur, (aujourd’hui on ajouterait « ni pédophile ») sachant bien gouverner sa propre maison et particulièrement ses enfants » (1 Tim. 3, 2-4 et Tite, 1, 7-9)
Dieu merci, ces personnes existent. Albert Rouet l’affirme lui-même : « J’en connais, ce n’est pas ce qui manque » : donc des vocations presbytérales sont là, sur le terrain, qui ne sont pas exploitées parce que volontairement ignorées, et si peu mentionnées lors des prières pour les vocations !
« Je ne pourrais pas les payer »
Est-ce si sûr ?
1) Il y a d’abord le cas des prêtres mariés exerçant une profession civile à plein temps ; ils n’auraient pas à être payés. Bien sûr, ils auraient droit au paiement des frais de fonction.
C’est le cas de la plupart des diacres, dont le rôle ne se limite pas à celui de premier lévite à la messe de onze heures le dimanche. Les diacres ont des responsabilités dans le domaine de la solidarité, de la formation… De même tout prêtre, employé ou non à plein temps, reçoit la mission essentielle décrite par A. Rouet dans les termes cités plus haut.
2) Il y a aussi les prêtres embauchés à mi-temps ou 2/3 de temps, donc aux salaires partiels versés par le diocèse: prêtres ouvriers, enseignants, éducateurs, infirmiers, etc… Certains prêtres célibataires en font déjà l’expérience ; pourquoi pas des prêtres mariés ?
3) Des prêtres mariés employés à plein temps par le diocèse seraient-ils d’emblée impossibles à payer, faute d’argent dans les caisses?
Que coûte un prêtre aujourd’hui ? Dans le diocèse de Nantes il touche par mois 1234,00€ net….plus les frais kilométriques pour le service pastoral. Avec cette somme, il paye ses repas là où il les prend.. Les prêtres qui habitent en « presbytère » ne touchent pas 1234,00€ net. Est retenue sur leur « salaire » la somme de 354€ pour frais de pension: logement, chauffage, éclairage, forfait service général. Il reste pour vivre, en payant ses assurances, ses loisirs, son habillement, sa voiture : 879€.
Un prêtre marié coûterait-il le double ? Pas sûr. Chaque année, si l’évêque ordonne trois nouveaux prêtres, il trouve bien le moyen de les rémunérer. En dix ans, ça fait 30 prêtres. On sait bien que de nombreux diocèses sont loin de ce chiffre. Avec l’argent trouvé pour 30 prêtres célibataires inexistants, on pourrait payer au moins 15 prêtres mariés, qui eux existent réellement, au moins à l’état de candidats potentiels.
L’Eglise anglicane offre un exemple intéressant « par la multiplication des ministères ordonnés…
Dans le diocèse de Guildford (Angleterre), jumelé avec celui d’Evry (Essonne) on compte un nombre croissant de femmes prêtres (elles sont 65 dans le diocèse de Guildford).
Il y a aussi des prêtres (hommes et femmes) continuant à exercer une profession, donc sans rémunération par le diocèse, ainsi que des prêtres ordonnés spécialement pour un lieu (généralement des personnes à la retraite désirant se consacrer à un ministère complet, après formation, dans leur seule paroisse)… Le diocèse de Guildford compte maintenant plus de 400 ministres ordonnés, soit trois fois le chiffre du diocèse d’Evry »
(bulletin diocésain Info 91 du 28/10/2000).
En guise de conclusion
Alors, des prêtres célibataires ou rien ? L’avenir ne serait-il pas dans la pluralité des situations presbytérales ? Dans l’approche de la vérité, on refuse de plus en plus la classification en noir ou blanc: ce n’est pas « ou bien… ou bien » mais « et… et ».
Demander l’ordination de personnes mariées n’est pas vouloir l’extinction des prêtres célibataires. C’est souvent la crainte exprimée ou le procès fait à ceux qui demandent d’autres formes de presbytérat : « Mais vous allez décourager les vocations de prêtres célibataires, tout donnés à Dieu… »
Il y a place pour les deux formes, pourvu que chacun vive à l’aise son propre charisme. Bien sûr, les prêtres mariés ne résoudront pas tout ! Il y aura d’autres problèmes, c’est la vie. Mais l’anémie ou la mort des communautés sont de plus vastes problèmes, hélas !
En attendant, les réticences exprimées, d’où qu’elles viennent, confortent les inconditionnels du célibat « sacré » et découragent un peu plus ceux qui militent pour l’ouverture.
L’Esprit-Saint veut-il vraiment que nous allions dans le mur ?
Claude Bernard 21/4/2010