L’enjeu premier de la contestation féminine me semble être la révélation de la véritable image de l’Eglise.
Quand on prononce le mot Eglise pour désigner l’Eglise catholique, tout le monde pense au pape et au Vatican, éventuellement aux évêques, accessoirement au » curé » de la paroisse, quand il y a en a un, ce qui devient rare ; dans tout les cas, à l’autorité masculine qui dirige et décide.
Qui y verra les femmes ? Pourtant l’Église est le « peuple de Dieu », femmes et hommes à égalité dans le Christ (Gal 3,27-28). Les femmes ne demandent rien d’autre que d’être reconnues comme des membres à part entière dans l’Église, Corps du christ. A part entière. Non comme des membres de seconde zone, soumises et silencieuses, inférieures aux hommes puisqu’elles ne sont pas considérées comme capables de « représenter » le Christ dans les sacrements (selon Thomas d’Aquin, toujours suivi, sans qu’on veuille le reconnaître). Le Christ continue d’être, à tort, considéré au masculin, comme » Époux » de l’Église – Épouse (comprenant cependant aussi les hommes), alors que, seconde personne de la Trinité, il ne peut, sans hérésie, être sexualisé. Reconnaître aux femmes la capacité ministérielle serait donc rendre enfin visible le vrai visage de l’Église, hommes et femmes en » parité absolue « , selon les termes de la lettre apostolique de jean Paul II, Mulieris dignitatem, qui n’accorde pourtant cette « parité » qu’en « dignité », non « en pratique ».
L’égalité hommes/femmes dans l’Église serait donc mettre fin au scandale que pose pour beaucoup ce qui est considéré comme son machisme et la rendre plus crédible, plus « humaine ». Mais ce serait aussi aider la société tout entière à se débarrasser de l’idée d’infériorité féminine qui demeure aussi bien dans les autres religions que dans la vie politique, et même dans les esprits de ceux qui s’en croient exempts. Des expressions comme « compenser les inégalités d’origine naturelle », les » dépasser », le révèlent. Etablir des « quotas » pour permettre aux femmes d’agir dans la vie publique ou sociale montre la difficulté des hommes à les admettre à côté d’eux. La « condescendance » à les accepter, ou à obliger qu’on les accepte, est la preuve de l’infériorité où on les tient encore. Permettre aux femmes de participer à la vie politique, économique, sociale, religieuse est une condition du développement même des sociétés, comme de nombreuses études l’ont mis en lumière. L’Église catholique devrait être la première à lutter contre les préjugés qui les en écarte, alors qu’elle est au contraire en retard sur les avancées du monde moderne, dont elle se coupe de plus en plus.
Mais la reconnaissance de la pleine égalité des femmes en matière ecclésiale présente encore un autre enjeu. Est-il nécessaire d’insister sur le handicap que constitue leur situation actuelle, non seulement pour elles-mêmes, qui ne peuvent réaliser leur éventuelle « vocation » (qu’on leur dénie), mais surtout pour ceux dont il faut bien qu’elles aient la charge quand personne d’autre ne se présente. Femmes en aumônerie de lycée et surtout d’hôpital, religieuses en mission, souvent dans les contrées éloignées de tout prêtre – homme, sont bien démunies en face de ceux qu’elles doivent entraîner vers Dieu et son Christ : pas de sacrement, pas d’eucharistie, « sommet » de la vie chrétienne… Pourtant, ne » représentent » – elles pas en fait le Christ, sans que l’Eglise officielle accepte de le reconnaître ? Quant aux paroisses sans prêtres, que deviendraient-elles sans les femmes, qui y font tout – sauf célébrer ? Elles ne peuvent que maintenir un lien fragile entre les chrétiens. Mais cette situation ne peut durer. Il faudra, soit ordonner les femmes, soit reconnaître aux laïcs, hommes et femmes, qu’ils sont « aussi » l’Eglise, ayant part au sacerdoce royal du Christ et qu’ils peuvent donc transmettre éventuellement pleinement sa vie. La contestation féminine aura aidé à en prendre conscience.
Enfin ce serait rendre à l’Esprit (Saint), le droit de parler ! Qui peut prétendre l’empêcher d’appeler qui il veut au ministère de son Eglise. Pierre a eu la modestie de l’écouter : « Si Dieu a accordé à ces personnes le même don qu’à vous…qui suis-je, moi, pour faire obstacle à Dieu ? » (Actes 11,17). Le Vatican l’a t il oublié ?
Suzanne Tunc – décembre 2005
Suzanne Tunc, Docteure en droit et théologie, a publié :
- Croire au XXIème siècle – En écho à la pensée de Pierre Teilhard de Chardin (2005)
- Des femmes aussi suivaient Jésus (1998)
- Les Femmes au pouvoir (1993)
- Brève Histoire des Femmes Chrétiennes (1989)
Elle est la traductrice du livre de John Wijngaards, prêtre catholique et théologien, L’ordination des femmes dans l’Église catholique, paru en France en 2005.