En septembre 2004, Suzanne Tunc nous a envoyé ce texte, en réponse à la Lettre aux Évêques de L’Église Catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde (publiée en juillet 2004, signée par Joseph Card. Ratzinger – Préfet de la congrégation pour la Doctrine de le Foi et Angelo Amato, SDB, Archevêque titulaire de Sila, Secrétaire )
Poser la question de savoir si la masculinité de Jésus a une signification théologique revient à savoir si cette masculinité peut nous révéler quelque chose du mystère de Dieu. Dieu serait-il masculin ? La réponse est évidente. L’incarnation de Jésus en un homme n’est en aucune façon révélatrice du mystère du Dieu transcendant, immatériel, invisible et Esprit.
Que signifie en effet le fait que Dieu se soit incarné, qu’il ait pris notre chair ? L’incarnation nous découvre l’amour de Dieu pour l’humanité, mais non son mystère, sa » nature « , si l’on peut employer un terme qui s’agissant de Dieu n’a pas de sens. Dieu est Esprit. Qu’il ait accepté de partager notre humanité ne peut lui conférer aucun des caractères qui affectent la » matière » dont nous sommes faits, et en particulier, la sexualité. La transcendance de Dieu ne peut être affectée. Dieu restera toujours un mystère inaccessible pour nous.
Mais pourquoi Dieu s’est-il incarné en un Homme de sexe masculin ? Cette question s’inscrit dans celle, plus large, du » scandale de la particularité « . Scandale que Dieu ait choisi un temps, une terre, un peuple, une couleur de peau, un sexe, plutôt que tout autre pour s’incarner en Jésus de Nazareth. Mais s’il voulait entrer dans notre Histoire, il fallait bien qu’il s’insère à un moment quelconque de cette histoire, dans un lieu particulier, dans un peuple et dans un individu sexué. Il lui fallait choisir une » identité « . C’est dans le peuple juif où il venait de se révéler comme Dieu unique, qu’il pouvait venir pour porter son message, et à cette époque, car l’occupation romaine offrait à la révélation les plus grandes possibilités de se répandre dans le monde alors connu. Mais, dans ce peuple et à ce moment de l’histoire, la civilisation patriarcale rendait inconcevable que cette révélation puisse passer par le sexe féminin. Dieu devait respecter la marche de l’humanité. Aurait-il pu rassembler quelques disciples, parler au peuple ou dans les synagogues, s’il avait été une femme, dont la parole n’était même pas reçue ? Il ne pouvait avoir quelque crédibilité qu’en étant un homme au masculin. La Parole de Dieu passe par la paroles humaine, dans les conditions où elle peut être prononcée et comprise. C’est une contingence dont l’acceptation n’affecte en rien la Divinité. Les » accidents » de la personnalité de Jésus de Nazareth sont contingents, nécessités par les données historiques, matérielles, de l’histoire humaine et sans rapport avec sa divinité qui, elle exclut tout particularisme, toute sexualité.
Que Jésus ait été de sexe masculin n’a donc aucune signification théologique, ni pour Dieu en soi, ni pour Jésus lui-même. Car si Jésus est de sexe masculin en tant qu’homme, fils de Marie, dans son passage terrestre, il est le Christ éternel, la deuxième personne de la Trinité. C’est lui que nous célébrons, avec le Père et l’Esprit, dans les sacrements, comme dans tout don de Dieu, et en particulier dans l’eucharistie. Il serait donc tout à fait inexact de prendre en quelque considération que ce soit la masculinité de Jésus. Ce serait une hérésie, celle qui consiste à sexualiser les hypostases divines, comme les Pères de l’Eglise sont unanimes à l’affirmer.
Sur le plan pratique et ecclésiologique, on ne pourrait donc, comme a tenté de le faire la Déclaration Inter Insigniores de 1976, prétendre que seul un homme de sexe masculin peut » représenter » le Christ. Rappelons ce que dit cette Déclaration, qui désire » éclairer…la profonde convenance que la réflexion théologique découvre entre la nature propre du sacrement de l’ordre, avec sa référence spécifique au mystère du Christ, et le fait que seuls des hommes ont été appelés à l’ordination sacerdotale « … » Le prêtre, dans l’exercice de son ministère,…représente le Christ qui agit par lui : ‘le Prêtre tient réellement la place du Christ’ (citation de St Cyprien) … (il) agit in personna Christi, tenant le rôle du Christ, au point d’être son image même… Il n’y aurait pas cette ‘ressemblance naturelle’ qui doit exister entre le Christ et son ministre si le rôle du Christ n’était pas tenu par un homme : autrement, on verrait difficilement dans le ministre l’image du Christ ; car le Christ fût et demeure un homme « .
Ce raisonnement déforme singulièrement le sens de l’expression in personna Christi. Elle ne signifie pas qu’un sacrement est une représentation théâtrale où le prêtre » joue le rôle » du Christ. Dans tout sacrement, dans tout don de Dieu, c’est le Christ seul qui agit. Le prêtre ne » représente » pas le Christ. Il agit » en son nom « , non » à sa place « . Et il agit aussi in personna Ecclesiae, car c’est l’assemblée tout entière qui célèbre, comme l’a rappelé avec force le cardinal Congar, à propos de l’eucharistie, où celui qui préside le fait au nom de l’assemblée en même temps qu’ » au nom du Christ, seul capable de porter une louange valable à son Père par l’Esprit « . Cela est aussi fortement affirmé par la Tradition et attesté par les paroles même de la consécration eucharistique : » nous » t’offrons, » nous » te rendons grâce, etc. Ce qui donne aujourd’hui au prêtre le » pouvoir » de le dire, c’est l’ordination. Une femme ordonnée le pourrait donc tout aussi bien. Et comment expliquer qu’une femme, image de Dieu, ne puisse être » image du Christ « , qui est Dieu lui-même – si l’on ne se plaçait même que sur le plan de l’image ? La totale ressemblance à Dieu comprend celle du Christ, le Fils, comme celle de l’Esprit, Trinité inséparable.
Enfin, Dieu s’est-il incarné pour être un homme masculin, ou pour prendre sur lui notre humanité tout entière, femmes et hommes ? Les Pères de L’Église déclaraient que » ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé « . Dieu n’a t’il » assumé » que le sexe masculin ou l’humanité entière, sans distinction de sexe, de temps ou de peuple ? N’a t’il » sauvé » que le sexe masculin ? Tous, créés à l’image de Dieu, nous sommes depuis l’incarnation, » dans » le Christ, nous sommes » son corps » (Ga 3,27-28). Le » Christ « , celui auquel nous nous référons, englobe hommes et femmes. Il ne peut être sexualisé.
Suzanne TUNC