Conférence d’Anthony Favier
La théorie du genre n’existe pas… du moins, c’est le titre d’un entretien que j’ai réalisé pour Témoignage Chrétien (n°3483, mars 2012) et qui exprime bien mon opinion actuellement. Opinion qui s’est forgée depuis qu’a éclaté l’année dernière une polémique autour de l’introduction dans le programme de Sciences et Vie de la Terre d’une nouvelle partie intitulée « Masculin/Féminin » ainsi que la parution de nouveaux manuels qui y correspondent. La théorie du genre est plutôt le label péjoratif utilisé par ses détracteurs qui présentent une grande variété de travaux, d’options théoriques, pas toujours concordantes entre elles et de différentes valeurs, sous une étiquette négative et surtout sous l’aspect d’une idéologie.
Aujourd’hui, on parle pourtant du genre comme un concept de sciences sociales assez unanimement employé – le CNRS est en train de créer un Institut du Genre – qui cherche à comprendre et analyser les conséquences sociales de naître homme ou femme. Si j’emploie le terme de genre ici c’est donc dans le sens qui se développe depuis les années 1980 en sciences humaines et sociales, c’est-à-dire un outil critique pour décrire à la fois la construction sociale des identités et des identités sexuelles, mais également des rapports entre les hommes et les femmes, ainsi que leur évolution à travers le temps.
Cela repose finalement sur une intuition assez ancienne de l’anthropologie : il est difficile de naturaliser le comportement des hommes et des femmes de manière universelle. En ce qui concerne la répartition des activités entre les hommes et les femmes ou la division sexuée des tâches, ce qui vaut dans un groupe social ou religieux, dans une communauté ou dans une autre, à une époque ou à un autre, ne peut être réduit à un modèle unique. Les hommes des îles polynésiennes aiment à se maquiller et porter de belles parures, les femmes aristocrates du XVIIIème dérogeaient à leur féminité si elles allaitaient leurs enfants.
Cela veut-il pour autant dire que tout se vaut et qu’il n’y a pas de critères de valeur ? Je crois qu’aujourd’hui nous prenons comme critères importants ceux de l’humanisme et des droits humains : l’égalité, la dignité, la réciprocité et le respect. Ce sont deux fils que je voudrais également tenir dans cet exposé :
- celui, d’une part, d’une lucidité sur le fait que les groupes sociaux, même religieux, changent, que le genre évolue et se recompose ;
- celui, d’autre part, d’un attachement à ce critère de valeur qu’est celui de l’égalité et de son essor.
Le catholicisme, me semble-t-il, ne s’abstrait pas en tant que groupe social de deux phénomènes :
- l’évolution de la façon dont se pensent et s’organisent en son sein le masculin et le féminin. Il faut contrer l’idée selon laquelle les rapports hommes-femmes ainsi que les attendus autour du masculin et du féminin ont toujours été les mêmes au sein du catholicisme.
- l’aspiration à une plus grande reconnaissance de chacun.e hommes et femmes, avec aujourd’hui le surgissement public de la question des minorités sexuelles en son sein.
Je vous propose ici un court parcours en trois parties à travers des analyses d’historiens et des pièces d’archives pour voir ensemble la variabilité du genre catholique. Je partirai du XIXème siècle, puis nous ferons une halte dans la première moitié du XXème siècle avant de nous arrêter sur le chemin parcouru depuis Vatican II.