L’ordination des femmes, une évolution possible

Au courrier des lecteurs de La Croix – La réponse de Claude Bernard à l’article « L’ordination des femmes, une évolution possible » paru dans La Croix le 1er juin 2020

Merci à Charles Delhez pour son article sur l’ordination des femmes, une évolution possible. J’apprécie sa démarche évolutive et sa façon de voir les choses pour la suite. J’aimerais revenir sur une expression – clé qu’il a utilisée et qui focalise encore les discussions sur la question : le « In persona Christi », que les opposants à l’ordination des femmes brandissent comme l’argument massue irréfutable ! Or cet argument a jadis été finement analysé et doctoralement réfuté en 1990 par le dominicain Hervé Legrand, alors directeur des thèses de doctorat en théologie à la Catho de Paris. Son explication, même un peu longue, mérite d’être largement diffusée, et en entier, tant l’enchaînement est rigoureux.

En effet, en 1990, quatre ans avant le « non possumus » de Jean-Paul II, un organisme très officiel de l’Eglise de France, le CNPL (Centre National de Pastorale Liturgique), publiait sous la plume d’Hervé Legrand, une étude exhaustive à propos de l’ordination des femmes, dans le livre « Rituels, Mélanges offerts au Père Gy » Le Cerf 1990.  « TRADITIO PERPETUO SERVATA ? La non-ordination des femmes : Tradition ou simple fait historique? » Autrement dit : cette non-ordination est-elle une révélation divine qui exigerait l’assentiment des chrétiens in aeternum, ou bien est-ce un fait historique à interpréter comme tel ? Le « non possumus » à l’égard des femmes tient-il vraiment la route ?   H. Legrand – prêtre dominicain,  spécialisé dans le domaine de l’œcuménisme et de l’ecclésiologie, professeur émérite à l’Institut catholique de Paris – réfute les différentes objections entendues : au nom de Jésus, au nom des 12 apôtres masculins, de la pratique des premières communautés chrétiennes, de l’anthropologie biblique, de la culture qui change, de l’évolution du statut civil de la femme, du symbolisme appliqué à la personne du prêtre, du pouvoir conféré au prêtre… Et il en arrive à l’étude du « In persona Christi. »

IN PERSONA CHRISTI

Cette expression joue un rôle clé dans le débat. Il convient de s’y attarder et d’en percevoir la genèse et les nuances possibles.  D’abord, que recouvre cette expression latine ? Aux yeux de l’Eglise actuellement, le prêtre agissant « in persona Christi » s’identifie à la personne du Christ. Quand il prononce sur le pain et le vin les paroles dites de la consécration, c’est le Christ lui-même qui parle par sa bouche. Ce rôle d’identification est plus fort qu’une simple représentation, celle qu’exercerait quelqu’un agissant « au nom de », par exemple un ambassadeur parlant au nom de son gouvernement…

Cette lecture du in persona Christi remonte à la théologie scholastique, au XIII° siècle. A cette époque, on a voulu tout préciser, tout expliquer, notamment le moment de la prière eucharistique où le pain et le vin sont changés au corps et au sang du Christ. Il fut décidé que cet instant précis serait le récit de l’Institution. En disant « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », le prêtre, identifié au Christ, réalise efficacement le signe sacramentel. Il a même pouvoir que le Christ. Dans ce contexte, certains pensent qu’il y a une raison de convenance – voire d’obligation – à ce que le prêtre soit un homme et non une femme.    Par corollaire, cette sacralisation a beaucoup marqué la personne du prêtre et la justification de son statut à part. Elle a aussi entraîné une focalisation sur le pouvoir institutionnel au sein des structures de l’Eglise. C’est au XIII° siècle que le pouvoir du pape s’affiche sur les rois et sur tous les fidèles… Et pas question alors de confier des responsabilités à des femmes. Telle eucharistie célébrée, telle Eglise proposée.

Mais on peut interroger ce pouvoir absolu de consacrer, proclamé au nom du in persona Christi. En réalité, 1) ce pouvoir n’est pas immédiat ,2) il est à interpréter dans un contexte d’épiclèse, 3) il n’est pas nécessairement la source des autres pouvoirs.

1) Ce pouvoir n’est pas immédiat. Le prêtre n’agit pas in persona Christi de façon immédiate dans l’Eucharistie, dans une démarche d’autorité et de pouvoir sur le pain et le vin. Il lui faut être d’abord in persona Ecclesiae ; c’est-à-dire habilité par l’Eglise à bénéficier de ce pouvoir, et donc être ordonné à cette fonction.

2) ce pouvoir est à interpréter dans un contexte d’épiclèse.  Dans l’Eglise ancienne, on ne se soucie pas du moment précis où les dons sont consacrés ; c’est toute la prière eucharistique qui est considérée comme consécratoire, et l’on attache une particulière importance à l’épiclèse, c’est-à-dire à l’invocation de l’Esprit sur les dons, afin que le Père les consacre lui-même. Le récit de l’Institution n’est que le rappel, la mémoire de l’événement fondateur de l’Eucharistie ; il se coule dans l’ensemble de l’anaphore. Les prières eucharistiques orientales ont gardé ce schéma et la théologie qu’il sous-tend.

Le pouvoir du prêtre se réduit à une intercession efficace : debout face au levant, avec tout le peuple de Dieu derrière lui et en son nom, le prêtre supplie le Père d’envoyer l’Esprit Saint. Dans ce contexte, le prêtre apparaît davantage comme un homme de non-pouvoir ; sa distance avec le Christ est mise en valeur. Grâce à Vatican II, nos prières eucharistiques ont remis en valeur l’épiclèse ; les fidèles sont parfois invités à s’y associer par des refrains qui font écho à la prière du prêtre. Mais trop souvent elle passe inaperçue ou presque, tant demeure forte la focalisation sur le récit de l’institution.

. 3) Ce pouvoir sacramentel n’est pas nécessairement la source des autres pouvoirs. Selon la tradition de l’Eglise ancienne, les prêtres président à l’Eucharistie parce d’abord ils président à la vie de leur communauté, à sa foi et à sa communion. L’ordre inverse ne se vérifie pas. Celui qui préside à tout cet ensemble, c’est celui-là qui est habilité à présider l’eucharistie, moyennant l’ordination appropriée. Ce n’est qu’au 13° siècle qu’on fera l’inverse, à savoir: celui qui est ordonné pour l’eucharistie (pouvoir de célébrer la messe) est habilité à recevoir une charge pastorale (pouvoir de juridiction).

Une telle lecture du in persona Christi ne saurait fermer la porte à une chrétienne, dès lors qu’elle serait reconnue capable de représenter la foi de l’Eglise et de veiller à sa communion. Autrement dit, avant d’être ordonnée prêtre, elle devrait être en charge d’une communauté.  (Ce qui est évidemment valable aussi pour les hommes !) De par son ordination elle serait alors située en altérité vis-à-vis des autres fidèles.  Ceux-ci reconnaîtraient qu’ils reçoivent le salut du Christ… La chrétienne ordonnée agirait in persona Christi.

Pour les femmes, l’action in persona Christi ne serait pas une nouveauté. Les fidèles n’ont pas lieu d’être troublés par des actions in persona Christi réalisées par des femmes. Ces dernières en font déjà, – un peu comme Mr Jourdain faisait de la prose sans le savoir.. En effet, tout ministre des sacrements agit in persona Christi. Or, dans la tradition latine, les femmes, comme leurs époux, sont reconnues comme ministres de leur sacrement de mariage. Les femmes peuvent aussi baptiser validement.Et à la messe, quand une femme à l’ambon proclame un passage des Ecritures, elle agit in persona Christi. En effet, Vatican II affirme dans la constitution sur la liturgie : « Chaque fois que la Parole de Dieu est proclamée, c’est le Christ qui parle à travers les Ecritures ». La femme prête donc sa voix au Christ, tout comme un homme. Habilitée à donner le pain de la Parole, pourquoi ne le serait-elle pas à donner aussi le pain et le vin de l’Eucharistie ?

En résumé,dit H. Legrand, là où il serait plausible socialement qu’une chrétienne puisse représenter la foi et la communion de l’Eglise, la présider à ce titre, il serait également plausible qu’elle puisse représenter le Christ. Quand cette plausibilité sociale existe, et quand les contenus ecclésiologiques et théologiques du ministère pastoral sont respectés, de quel poids pèserait l’absence d’identité sexuelle entre le Christ et le ministre?  De très peu de poids, y compris pour la présidence de l’eucharistie, car celle-ci n’est pas une action théâtrale. Au théâtre, on ne voit pas une femme représenter le Christ. Mais nous ne sommes pas au théâtre ! Nous sommes ici dans le MYSTERE, le sacrement. Dans cette perspective, la représentation du Christ au titre de la foi et de la communion est décisive.

Au nom d’une tradition bimillénaire ?La non-ordination des femmes est un fait historique indéniable, une coutume constante qui représente une manière d’agir appropriée aux conditions dans lesquelles l’Eglise a vécu jusqu’ici. Ce n’est pas une Tradition au sens fort, où se manifesterait la volonté révélée de Dieu sur son Eglise…. Alors cette coutume, assimilée pour beaucoup à une tradition bimillénaire, pourrait-elle subir un changement ?

En bien d’autres domaines des raisonnements impressionnants ont voulu empêcher de faire « ce qu’on n’avait jamais fait » et pourtant on a changé : la réitération du sacrement de pénitence, la détermination de la matière et de la forme du sacrement de l’ordre, le prêt à intérêt, le nombre des sacrements, la sacramentalité de l’épiscopat…

Alors, pourquoi pas une évolution pour l’accès des femmes au presbytérat ? Puisse ce lumineux éclairage être largement diffusé dans Les journaux et hebdo chrétiens !

Claude BERNARD,  La Baule, 5 juin 2020

Auteurs·trices : Claude Bernard

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