Prions en Église s’abrite derrière une norme romaine mal interprétée pour justifier l’absence de filles sur une image représentant des enfants de chœur. Claude Bernard, célèbre compositeur de chants liturgiques et membre de FHEDLES écrit à la revue, suivi par Alice Gombault, notre secrétaire générale.
J’ai dit : « Une chose me fait mal, La droite du Très-Haut a changé » (Psaume 76, 11)
Chers Amis de Prions en Église et de Signes,
Merci à Amélie de Cazenove, assistante des rédactions de vos revues, pour sa réponse à une question posée récemment par Edith à propos de l’absence de servants d’autel féminins sur une image accompagnant Prions en Église d’avril. Le contenu de la réponse nous a tout de même surpris, et plutôt beaucoup !
Pour votre observation sur les servants d’autel masculins de notre marque page inséré dans le numéro d’avril 2012: « Prions en Église ne décide pas d’orientation liturgique et ne fait que suivre les récentes dispositions liturgiques qui déconseillent la présence des filles au service de l’autel. » (1)
Certains amis défunts, fervents adeptes de Vatican II, doivent se retourner dans leur tombe : Lucien Deiss, Joseph Gelineau, Jean Debruynne… Ce « déconseillent » ne signifie pas « interdisent » ! Suffirait-il à créer chez vous une attitude de crispation et de peur ? Bon nombre de vos lecteurs en seraient étonnés ou déçus. Le mot passe difficilement pour les croyants et les grands parents que nous sommes, avec trois petites filles trop jeunes encore pour servir à l’autel. Que dire de crédible à leurs parents pleinement en phase avec la culture moderne et la valeur de l’égalité homme-femme, et généreusement critiques par rapport aux retards de l’Institution dans l’Eglise ? Jamais je n’aurais pensé que, chez Bayard, les trois revues liturgiques qui nous sont chères en arrivent à un tel aveu. Vous avez sans doute des raisons sérieuses pour vous exprimer ainsi, probablement la prudence face à des courants conservateurs toujours prêts à vous mettre des bâtons dans les roues et à vous dénoncer en haut lieu. Michel Wackenheim m’a jadis parlé de ces problèmes. Connaissant un peu l’ouverture d’esprit et le sens conciliaire qui vous honorent, je serais étonné que vous osiez penser un tel retour en arrière !
Pour ma part, nourri (comme certains de vous probablement) depuis le Concile par les écrits de Congar, Chenu, Hervé Legrand, Louis-Marie Chauvet, Joseph Moingt, Alice Gombault, Marie-Thérèse Van Lunen Chenu et bien d’autres, encouragé par de courageux pasteurs comme Jacques Noyer ou Jean-Charles Thomas ou des collaborateurs de votre revue comme Gérard Naslin ou Marc Sevin, j’introduirais la présence des petites filles à l’autel avec les verbes conseiller, autoriser, encourager, hautement louer… Car les « récentes dispositions » chagrinent et scandalisent de nombreux membres du Peuple de Dieu. Comment en serait-il autrement, quand ils se réfèrent au premier signe donné par leur Maître aussitôt après sa mort sur la croix : la déchirure du rideau du Temple, symbole de la fin des enclos sacrés parquant les fidèles dans le parvis des païens, celui des femmes, celui des hommes, celui des prêtres… Nous sommes aux temps nouveaux où les brebis ont quitté les bercails de la peur pour aller vivre sur les verts pâturages où leur Berger les mène à la Vie.
Il y a tout juste quatre jours, nous recevions de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones et le Comité de la Jupe une invitation à réagir face au retour d’une pratique excluant les filles et les femmes du chœur des églises. Les arguments avancés par la CCBF ne nous semblent pas dépourvus de poids .
Et la CCBF rappelle le commentaire de St Paul: Épitre aux Galates 3, 27-28 : « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. »
Nous voici à quelques mois de fêter le cinquantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II, en octobre prochain. En 1962, le premier jour des débats avait été marqué par un coup de tonnerre qui faisait voler en éclats la porte étroite des propositions de la Curie romaine : le « non placet » des trois cardinaux Liénart, Suenens et Höffner, largement suivi par des centaines d’évêques venus de tous horizons. Et c’est grâce à cette libération que le Concile a pu accoucher des textes forts que l’on connaît. Au cours des 50 dernières années, la situation des femmes dans le monde et dans l’Église a beaucoup progressé. Membres d’une association chrétienne qui milite pour les droits des femmes, nous sommes loin d’avoir fini la longue litanie des « non placet »… Et nous sommes également désolés de constater un retour aux cloisonnements anciens. L’esprit de résistance va-t-il retomber ?
Nous ne voyons pas comment les fondamentaux évangéliques devraient s’effacer devant des « conseils » émis par des grands prêtres et des scribes focalisés sur le passé. Si par bonheur quelques servantes d’autel venaient à s’ouvrir à des ministères ordonnés, quelle chance et quelle richesse nouvelle ce serait pour l’Église !
Serons-nous condamnés à dire avec le psalmiste : « la droite du Seigneur – qui est principalement la gauche dans l’Église ! – a bien changé. » ? Il y a tout de même des lieux où le non placet peut encore respirer. Je pense aux multiples réseaux des Parvis, et aussi aux nombreux tâcherons du quotidien (féminins pour la plupart) dans les paroisses et les communautés catholiques. Ou encore, ce petit signe : récemment le diocèse de Lyon, en vue de fêter les cinquante ans de l’ouverture du Concile, a demandé la création d’un chant nouveau. Parmi les 32 propositions, l’œuvre retenue par le cardinal Barbarin et un jury d’experts est le chant « Bienheureux qui te reçoit » (Claude Bernard –Jo Akepsimas), inspiré des béatitudes mais sans gommer le mot « résistance », lourd des non placet que nous portons. Ce chant est mis sur les sites du SNPLS et du diocèse de Lyon. Nous espérons que vos revues sauront y faire écho.
Au nom des nombreux engagé-e-s sur le terrain ecclésial, au nom aussi des ami-e-s auteurs et compositeurs qui créent des chants conciliaires, merci de continuer à nous rappeler que l’avenir, ce n’est pas Vatican I mais Vatican III ou un événement équivalent. Nous aurons alors davantage de cœur pour continuer notre marche en accueillant « ce que l’Esprit dit aux Églises aujourd’hui » (Ap.2,7)
Claude Bernard, 28 mars 2012
(Note 1) NDR : En fait, aucune norme ne « déconseille » l’accès des filles au service de l’autel. L’instruction Redemptionis Sacramentum (2004) énonce au n° 47 que « les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’Évêque diocésain ; dans ce cas, il faut suivre les normes établies à ce sujet ». Parmi ces normes : il faut garder à l’esprit que le service à l’autel de jeunes garçons a permis un développement encourageant des vocations presbytérales et qu’il faut donc continuer à en favoriser l’existence, ce qui interdit à l’évêque d’imposer aux prêtres l’admission de filles au service de l’autel et interdit d’exclure les garçons du service de l’autel. Concernant la question de l’éveil des vocations parmi les garçons servants d’autel, je note qu’il ne constitue pas une impossibilité juridique et qu’il n’est pas un argument théologique pour l’exclusion des filles mais seulement un argument pastoral à prendre en compte dans la décision de permettre aux filles le service de l’autel. Les termes exacts sont : « On ne doit pas oublier » ; « On sait que ». D’autres arguments pastoraux peuvent donc être pris en compte. Pourquoi pas la manifestation de l’égale dignité des femmes et des hommes ? L’accès des filles au service de l’autel n’est donc pas « déconseillé ».
Lettre d’Alice Gombault à Prions en Église
Le récent courrier que vous a fait Claude Bernard à propos de l’absence des filles enfants de choeur va dans le droit fil de ce que je pense. J’ai été atterrée Par la réponse donnée » Prions en Eglise […] ne fait que suivre les récentes dispositions liturgiques qui déconseillent la présence des filles au service de l’autel ». Lorsque je donnais ce genre de réponse à ma mère quand j’étais enfant pour excuser une bêtise, elle me répondait : « Alors si untel t’avait dit d’aller te jeter dans un puits, tu y serais allée ? » Eh bien, c’est exactement ce que vous faites et j’en suis bien affligée. Je ne reprendrai pas l’argumentation de Claude Bernard, elle est parfaite, mais relisez-là et sachez résister que diable ! Je souffre pour mes petites sœurs exclues, une fois de plus, de tâches qui soi-disant ne leur conviendraient pas.
Courage à vous. »
Alice Gombault