A l’attention des « experts en humanité » : depuis quand les femmes sont-elles le problème ?

Article de Joan Chittister – National Catholic Reporter, 13 août 2004

« Experte en humanité, l’Église s’est toujours intéressée à ce qui concerne l’homme et la femme ».  Ainsi commence un nouveau document venu de Rome. Ensuite l’analyse, quoique sincère, s’obscurcit.

Ce qui est intéressant voire fascinant avec les documents du Vatican censés traiter de la place de la femme dans l’église et la société, c’est qu’en général ils finissent par rendre le sujet plus confus au lieu de le clarifier. Le dernier document venu de Rome sur les femmes, « Collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde » ne fait pas exception. On dirait une scène du « Violon sur le toit » quand Tevye, dans son monologue avec Dieu oscille entre « d’une part » et « d’autre part ».

En fin de compte, le document n’est pas aussi complètement mauvais que le laissent entendre beaucoup de journalistes dans leur titre. Il n’est pas non plus aussi bon qu’il le devrait dans un monde où de 12 à 80 ans des femmes sont violées, vendues pour le commerce du sexe au rythme de 2 millions par an, disent les Nations Unies ; on les instrumentalise comme objets sexuels pour la guerre, elles sont invisibles socialement dans la plus grande partie du monde, leur vie ne leur appartient absolument pas ; les soucis,centres d’intérêt et projets qui leur sont propres sont partout presque complètement ignorés.

Au pire « d’une part », le document manifeste une absence fondamentale de compréhension du féminisme, de la théorie féministe et de son évolution.

D’abord il traite le féminisme comme une créature monolithique aux sombres et austères traits. Il parle de féminisme « radical », un terme très précis dans l’histoire du féminisme, comme si c’était l’ensemble de la théorie féministe. Même au sommet de son expression publique il y a presque 40 ans, le féminisme radical n’ a jamais été plus que le moindre courant de l’histoire de la prise de conscience des féministes tant hommes que femmes.

Deuxièmement, le document parle du féminisme radical comme si c’était la force principale de la philosophie féministe et une claire vision du monde de l’unique point de vue des femmes et même ainsi on peut discuter de sa façon de l’exposer. Le résultat c’est que, aussi bien les termes utilisés et la théorie à la quelle se réfère le débat sont lamentablement en retard et que l’analyse de la nature du féminisme est honteusement injuste.

Au mieux, « d’autre part », le document manifeste une évolution dans l’enseignement fondamental catholique (ou du Vatican) sur le rôle et la place de la femme dans la société.

Deux positions se disputent ici la première place, s’annulant l’une l’autre :

Premièrement, le document tourne autour du pot, hésitant entre deux anthropologies, deux visions théologiques du monde et essaie en vain de les accorder.

Ce document renforce l’idée d’une anthropologie dualiste – dans laquelle l’homme et la femme sont des créatures essentiellement différentes à cause de leurs organes sexuels – et en même temps il brouille cette idée.

Les femmes, nous assure-t-il dans un paragraphe, sont pleinement « humaines » et créées à l’image de Dieu. Les femmes ont leur propre rôle sans équivalent à jouer dans l’économie du salut, autrement dit. Donc, les hommes et les femmes sont également responsables de se préoccuper et de prendre des responsabilités pour toute tâche humaine.

Un peu plus loin, cependant, l’autre anthropologie apparaît clairement. Le sexe – l’être-femelle- pas le fait d’être une personne, pas la nature de ce que cela signifie d’être humain, détermine nos rôles dans la vie, prétend le document. La nature respective de l’homme et de la femme est déterminée par leur sexe, dit sans équivoque le document, et c’est ainsi que la femme est programmée pour s’occuper de la famille et être le partenaire le plus responsable de la réussite de la vie de famille. On voit là poindre de façon menaçante une théologie du mariage à la « les hommes sont ainsi ! » qui a maintenu les femmes pendant des siècles dans des liens blessants.

Aux confins de la thèse se profile un second fantôme qui, armé d’un fouet, met en garde et blâme : il a pour cible les femmes qui osent élever la voix et prendre des décisions concernant leur propre vie. Ici le document laisse paraître l’indifférence sous-jacente, voire l’abaissement dans lequel il tient les sujets concernant les femmes, leurs raisons et leurs questions en prétendant que la « tendance » féministe consiste à exagérer la subordination des femmes  » dans le but de créer un antagonisme » entre femmes, d’en faire les adversaires des hommes et « de rechercher le pouvoir ».

Ce processus, dit le document, « conduit à une rivalité entre les femmes et les hommes, dans laquelle l’identité et le rôle de l’un sont soulignés aux dépens de l’autre ». Pas la moindre allusion, dans ce document, bien entendu, au fait que c’est ce qui a déjà été le cas pendant 2000 ans puisque les hommes ont dominé les femmes dans tous les aspects de la société, y compris en étant les propriétaires légaux de ces mêmes foyers dont les femmes étaient dites « les reines ».

Puis il attribue au féminisme l’homosexualité, les mariages de personnes de même sexe et la critique des Saintes Écritures plutôt que leur approfondissement.

Pour finir il fait des dispositions de Marie pour « l’écoute, l’accueil, l’humilité, la fidélité, la louange et l’attente », des raisons pour écarter les femmes de la prêtrise, un saut théologique d’une énorme dimension.

En même temps, le document présente le monde entier féminin en utilisant l’image conjugale pour la relation entre Jésus et l’église entière et reconnaît ainsi la nature universelle de personne pour les femmes aussi bien que pour les hommes.

Il souhaite « une juste valorisation du travail effectué par la femme au sein de la famille » aspect de la libération de la femme trop longtemps ignoré aussi bien par l’église que par les féministes.

Il souhaite « des horaires adaptés « pour les femmes qui travaillent. Les féministes appellent cela des « horaires flexibles » et les recherchent pour femmes et hommes, pères et mères aussi bien, afin qu’ils puissent « se consacrer aux soins des enfants ».

Il admet que la féminité – être « pour l’autre » – est plus que simplement un attribut du sexe féminin.

Contrairement à des siècles de documents précédents, celui-ci ne dit pas que « la place de la femme est au foyer ». Au contraire, il affirme que « la promotion de la femme au sein de la société doit donc être comprise et voulue comme une humanisation qui se réalise au moyen des valeurs redécouvertes grâce aux femmes. »

En d’autres termes, ce document, c’est le verre à moitié plein ou à moitié vide. C’est la présentation classique « bonne nouvelle, mauvaise nouvelle ». Le problème, c’est que tout en étant définitivement confus sur le sujet, il prétend parler de manière autoritaire sur la condition et les mobiles de la moitié de la population mondiale. Et la nouvelle la plus malheureuse de ce document est peut-être qu’il affirme que cette présentation de la condition féminine persistera à être vraie « même après la mort » (« par delà le temps présent » dans la traduction française). Tant pis pour le corps glorifié et l’âme spirituelle. Tant pis pour l’éternelle égalité divine.

Cependant, son introduction sera peut-être considérée dans le futur comme le meilleur du document. Il y a là des potentialités : il se considère comme « un point de départ … dans la recherche sincère de la vérité et en vue d’un engagement commun pour tisser des relations toujours plus authentiques. »

Espérons-le.

Au mieux, c’est seulement le début d’un entretien sur un sujet que les femmes ont réclamé depuis maintenant presque un demi-siècle. Au pire c’est un obstacle au dialogue qu’il prétend rechercher puisqu’il accuse les femmes de considérer les hommes en ennemis.

Mais le véritable problème du document qui balaie en la condamnant la marée montante des aspirations des femmes à la pleine accession à l’humanité, évidente aujourd’hui partout dans le monde, c’est qu’il sera récusé purement et simplement pour son manque de perspicacité, de disposition bienveillante et de pertinence. « Cela ne m’intéresse vraiment plus » m’a dit aujourd’hui une jeune femme. Et un homme a écrit dans un e- mail « Je ne lirai pas le nouveau document du Vatican qui dénonce « le féminisme radical « … Je me demande quand ils vont écrire un document s’attaquant au « masculinisme radical ». Voilà une bonne question pour les « experts en humanité ».

Joan Chittister – National Catholic Reporter, 13 août 2004

http://natcath.org/NCR_Online/archives2/2004c/081304/081304j.php

Traduit de l’Anglais (Etats – Unis) par Janine Padis et Jean Pierre Schmitz

Sœur Joan Chittister a été prieure de la communauté Bénédictine de Erie (USA) de 1978 à 1990 et présidente de la conférence Nationale des Religieuses en 1976-77.Elle écrit chaque semaine sur le site NCR online.org

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