Un lien entre la misogynie de l’institution catholique et les scandales de pédophilie ?

La vague des informations peu à peu signalées sur des cas de pédophilie répétés dans l’Eglise catholique suscite de nombreux commentaires. Avec des accents différents  ils se rejoignent pour mettre en cause, plus ou moins directement, la loi du célibat obligatoire pour les prêtres. Dans la foulée, sont stigmatisés aussi l’immaturité fréquente du choix de vie par de trop jeunes gens, une formation restée longtemps inadaptée dans les séminaires,  le manque de relations avec le monde féminin,  sans compter l’autoritarisme,  la culture du secret et du déni dans l’institution ecclésiale. Je m’étonne pourtant que le débat n’ait pas encore été élargi jusqu’à prendre en compte le  problème, pourtant de plus en plus sensible, de la marginalisation – voire de l’éviction- des femmes dans l’institution romaine,  et que les commentateurs ne se soient pas penchés non plus  sur la nature  de  l’entêtement avec  lequel Rome  s’évertue  à la défense du primat du sexe masculin.

Les analyses  de la théologie féministe ont souligné  le dommage qu’il en coûte à l’intégrité et l’intégralité de l’Eglise :  son intégrité évangélique puisque, pour se ressourcer à l’essentiel du message chrétien,  elle  ne sait pas rompre avec une tradition sociale aujourd’hui caduque et  répréhensible selon la loi  ;  son intégralité communautaire puisque moins que la moitié de ses membres sont mis, plus ou moins directement et parfois malgré eux , dans la situation de dénier à l’autre moitié – qu’elle appelle pourtant « ses sœurs »-  la possibilité de vivre entièrement la plénitude  de leur baptême. Mais s’est-on interrogé   suffisamment sur les causes et les effets de cet attachement exceptionnel  de l’institution romaine à un primat du sexe masculin, jusqu’à conduire à  sa  véritable « sacralisation » dans le cléricalisme ? Une critique qu’on pourrait qualifier de « pastorale » (venue de l’intérieur même de l’Eglise), ainsi que l’analyse  féministe ont déjà  démasqué  le jeu sémantique qui s’obstine à nommer « service » ce qui,  choisi et exercé souvent avec la plus grande générosité personnelle, reste néanmoins un monopole  et un pouvoir. On se demande alors comment  ce service ultime de la « représentation  du Christ pour accomplir l’eucharistie », ce pouvoir-servir qui ne se décline qu’au seul mode masculin n’infléchirait-il pas l’identité cléricale et, par là même, l’idéalisation et le caractère de refuge  que des jeunes gens peuvent y investir ? Il parait  naïf de s’étonner qu’un certain nombre d’entre eux  soient  tentés  d’échapper par là  à une identification  sexuée exigeante. Mon propos va donc plus loin que de déplorer ce qu’on appelle pudiquement des «  difficultés  à vivre la chasteté »,  je parle ici  des troubles du comportement qui peuvent être liés à une  difficulté non résolue de l’identification personnelle. Etre capable de s’identifier  comme un être masculin c’est pouvoir accepter l’en-face d’une égale partenaire féminine. Et j’avance que l’idéalisation du primat masculin, sa canonisation en quelque sorte, et la  justification permanente qui en est faite au moyen du refus de la compétence et de l’autorité des femmes, peuvent troubler le processus  d’identification masculine et venir parfois infléchir un choix pour la prêtrise ou la vie religieuse.

Au fond, les causes seraient bien plus imbriquées qu’on ne le pense entre l’interdiction faite aux femmes d’accéder au ministère sacerdotal et l’obligation du  célibat pour le  prêtre masculin. Ce sont racines profondes et ténébreuses qui s’entrecroisent  entre  dépréciation de la sexualité,  marginalisation des femmes,  primat accordé au sexe masculin,   sacralisation du sacerdoce, rapport sclérosé à la tradition et  un gouvernement autoritaire, clérical et mono-sexué.

Que l’on se place du dedans ou du dehors de l’institution, le positionnement autoritaire qui rend celle-ci sourde et aveugle malgré son isolement, désigne comme un enjeu à la fois ecclésial et social la nécessité d’un vrai débat et de changements dont l’importance ne se limitera  pas au seul champ religieux.  Certains chrétiens, et de plus nombreuses chrétiennes, espèrent  encore que la gravité des mises  en question actuelles, qui devraient secouer une autorité prompte à se proclamer « experte en humanité », pourrait devenir  la pierre de touche  d’une conversion profonde du catholicisme.  En tout état de cause, un vrai débat que tout désigne aujourd’hui comme urgent ne pourra pas être indéfiniment étouffé, déplacé, remis par l’autorité romaine….. Et même si beaucoup n’osent plus guère croire à la capacité de conversion d’une institution qui y perdra l’idée de sa prévalence, d’autres espèrent pourtant que le sens du message chrétien, vivant aujourd’hui comme hier, saura la convaincre.  Mais l’Eglise catholique est en retard sur la société pour mettre en œuvre ces changements qu’on appelle désormais « humains » : s’il faut prévoir qu’elle continue à renforcer ses digues, on peut  craindre des scissions internes douloureuses entre celles et ceux qui opteront pour une ecclésiologie renouvelée et d’autres qui n’ont pas été préparé/e/s à éviter  la tentation des  fondamentalismes.

ET Ce n’est évidemment  pas « la question des  femmes dans l’Église » qui fait  problème comme on l’entend dire avec légèreté…, c’est celle d’une autorité qui défend son primat  clérical masculin et refuse une confrontation plénière avec les femmes. Le désarroi actuel appelle à un débat qui n’a pas encore eu lieu. Enjeu majeur pour  le catholicisme si celui-ci  veut garder sa place au sein du christianisme et sa crédibilité  face à  la société civile.

Marie- Thérèse van Lunen Chenu, 2010

Auteurs·trices : Marie-Thérèse Van Lunen Chenu

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