Marie-Thérèse van Lunen Chenu, cofondatrice de Femmes et Hommes en Église, aujourd’hui FHEDLES, a contribué aux réflexions des Scouts et Guides de France sur la mixité, la coéducation et la nouvelle alliance entre hommes et femmes (1). Elle part de ce mot d’alliance pour ouvrir à une habilitation mutuelle.
Questionnement autant que découverte, ce thème nous accompagne et s’approfondit tout au long de notre vie, il tisse en même temps notre identité personnelle et notre vie sociale.
Pour évoquer un partage juste, bienfaisant et fécond entre les sexes, Scouts et Guides de France ont choisi le beau terme biblique d’alliance. Loin de le récuser, je me demande comment le préciser pour dire cette alliance aujourd’hui entre des femmes et des hommes devenus égaux en droits et dignité, partenaires qui se découvrent riches d’exigences et de possibilités nouvelles.
Sexuation-altérité
L’humanité n’existe que sexuée et notre sexualité est d’abord une sexuation : c’est dire que nous la recevons inscrite dans une histoire de transmission, de filiation, d’héritage, un donné marqué de possibilités et limitations biologiques, de richesses et de pesanteur des traditions. Longtemps, l’humanité a ignoré les lois de la transmission de la vie : responsable, tantôt le père, sous prétexte qu’il « mettait la petite graine », tantôt la mère parce c’est elle « qui donne la vie ». Faux ! Faux et dommageables ces deux schémas qui supportent à la fois le patriarcat et une forme de dévotion et dette particulière envers une mère toute puissante! Depuis bientôt 150 ans, les progrès de la science -invention du microscope et études biologiques -nous ont appris qu’il faut un patrimoine et un matrimoine génétique à concurrence égale pour appeler un enfant à la vie. Belle fondation de la responsabilité parentale et, plus largement, de notre responsabilité sociale envers l’Humain !
Sexuation et sexualité nous ouvrent à l’altérité ; indépendamment de nos choix de vie et orientations sexuelles, « l’autre sexe »est notre vis-à vis d’humanité. A la fois exigeant et privilégié. Hommes et femmes, nous serons toujours semblables mais différents, différents mais semblables. De là, ce jeu permanent du manque et du désir qui ouvre toute relation mais ne nous prémunit jamais contre la tentation de posséder l’autre à notre similitude ou de le réduire à sa différence. Toutes les relations, toutes les démarches de sexualité et d’amour, exigent d’être vécues comme des relations d’altérité, avec les mêmes exigences de respect, d’honnêteté, de distance et de solidarité entre les partenaires.
Complémentarité et différences
Les mots dont nous héritons se révèlent parfois usés, voire piégés. A nous de les replacer dans leur histoire, les décortiquer et retrouver leur sens profond … Il en va ainsi de la complémentarité entre hommes et femmes. Il a fallu les changements sociétaux du féminisme, ses critiques, les analyses de genre – c’est-à-dire de la construction sociale du rapport entre les sexes- pour nous en montrer les limites. Ce que l’on nomme « complémentarité » reste souvent axée sur des modèles d’identité masculine et féminine forgés par les nécessités et les croyances d’hier ; elle ordonne des rôles et statuts qu’elle présente comme induits par une « loi naturelle » immuable et intangible ; elle s’appuie sur une catégorisation binaire entre un féminin et un masculin déjà convenus selon un partage obligé des capacités, des « vocations », des privilèges, des pouvoirs et des devoirs…. Enfin cette « complémentarité plus ou moins faussée en reste trop souvent –et surtout dans les religions- décidée et surveillée par des hommes seuls, entre eux. Il s’agit encore d’une complémentarité androcentrée dont il faudrait du moins renouveler le sens et les pratiques en l’acheminant vers une complémentarité mutuelle…, encore que cette expression paraisse aujourd’hui peu apte à dire une relation paritaire nouvelle, dynamique et créative entre les femmes et les hommes. Plus suggestif et profond – mais moins concret et insuffisant, j’aime le terme d’alliance.
Deux références adossées l’une à l’autre, Le Concile Vatican II et L’ONU.
« Signes des temps » et signes de piste…
De 1961 à 1965, le Concile Vatican II a formulé une « mise jour » de l’Eglise en affirmant la portée anthropologique, théologique, ecclésiologique de ce qu’il reconnaissait comme Signes des Temps : « La communauté des chrétiens se reconnait donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (Gaudium et Spes, préambule 1). Étaient élues en tant que Signes des Temps ces trois grandes étapes d’Humanisation que sont le refus de l’esclavagisme, du racisme et du sexisme. (Gaudium et Spes 29, ou Lumen Gentium 32) ; les mêmes qu’annonçait Saint Paul aux Galates (Gal 3, 28-29).
La parité des sexes était explicitement mise en exergue : « ….Les femmes, là où elles ne l’ont pas encore obtenue, réclament la parité de droit et de fait avec les hommes…. (Gaudium et Spes, 9). Déjà, le document préparatoire dû à Jean XXIII – Pacem in Terris(1963) – présentait ensemble « l’entrée de la femme dans la vie publique…, la promotion économique et sociale des classes laborieuses et celle « des peuples dominés…», comme une « étape importante sur la route conduisant à une communauté humaine… »
La Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, CEDAW.
Serait-ce à cause de son titre à la fois trop long et quelque peu réducteur que cette convention, désignée d’habitude par son sigle anglais CEDAW, demeure si mal connue ? Mal comprise, mal aimée malgré son objectif global inscrit dès le préambule : « …le développement d’un pays, le bien-être du monde et la cause de la paix demandent la participation maximale des femmes à égalité avec les hommes, dans tous les domaines ». Elle fut très rapidement adoptée par l’ensemble des Etats membres de l’ONU en 1979 puis ratifiée, à l’exception de 13 pays, en majorité islamiques, pour le motif que ses dispositions étaient contraires à leur religion.
En effet, CEDAW vient acter et développer le nouveau modèle anthropologique d’une parité des sexes, qui suppose non seulement leur égalité de principe mais de fait.
L’article 5 en est le cœur : il vise la discrimination sexiste dès son préjugé. Il rappelle qu’elle peut s’exercer envers les hommes comme envers les femmes et, sans citer nommément les religions, CEDAW les met en cause par la formule « pratique coutumière ou de tout autre type » : « Les États parties prennent les mesures appropriées pour : (a) Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjuges et des pratiques coutumières ou de tout autre type , qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes » (art. 5).
Cette insistance nouvelle mise sur le préjugé signe l’élaboration moderne de ce qu’est la discrimination sexiste : préjugé qui prétend spécifier le rôle stéréotypé et le statut de l’autre et ainsi justifier des interdictions et exclusions. On comprendra bien qu’il ne s’agit pas de nier des « spécialités » que l’on croit plus relativement liées à un sexe (inclinaison, éducation, nécessité, culture ?) mais qu’il s’agit de refuser désormais que quiconque prenne le pouvoir de réduire une personne à une « spécificité », laquelle se traduira par des obligations, limitations, exclusions.
Retenons encore de Cedaw sa portée d’avenir : la convention nouvelle de l’ONU développe le nouveau sens de la parité en citant, par de très belles formules, plus de 60 fois l’homme et la femme ensemble, partenaires coresponsables dans tous les domaines de la construction humaine, mais sans spécifier jamais ce qui conviendrait ou ne conviendrait pas à l’un ou à l’autre sexe.
Habilitation mutuelle
Pour terminer par un regard aussi évangélique que « moderne, je voudrais m’inspirer de ce que des féministes ont mis en exergue sous le nom d’empowerment, que nous traduirons par habilitation.
Je plaide pour que nous ne perdions pas les savoir-être et savoir-faire qui sont encore souvent liés plus particulièrement à un sexe mais pour que nous n’en faisions plus ni des obligations ne des limitations.
Une nouvelle éthique du partenariat devrait en contraire nous encourager à exercer une certaine démaîtrise de ce que nous avons crû propre au masculin ou au féminin, dans le but d’y habiliter aussi l’autre.
Savoir remettre en cause les rôles, les statuts, les privilèges « genrés » et faire de ceci une pratique continue et volontariste d’habilitation mutuelle entre les sexes n’est évidemment pas étranger à un mouvement d’éducation à référence chrétienne comme le scoutisme. Devenu mixte, il expérimente cet objectif comme plus qu’un défi, un bienfait.
Enfin, je nous souhaite modestes : reconnaissons que le rapport entre les sexes garde une résonance particulière, dimension de mystère et dynamisme d’avenir. Il se plie mal aux définitions et aux codes. Gardons-nous de prétendre l’y enfermer définitivement.
Marie-Thérèse van Lunen Chenu, Genre en Christianisme / FHEDLES
Note (1) : Leur colloque au Conseil économique, social et environnemental le 8 mars 2012 avait pour titre « Éduquer des garçons et des filles, la question du genre au cœur des pratiques éducatives ».
Complément : « pour l’implication des hommes »
Il en faudrait beaucoup des hommes croyants qui soient capables de dire publiquement, aujourd’hui, que nos liturgies stagnent désormais à l’encontre de leur foi ! Des hommes capables de dénoncer, comme Gonzague JD, cette liturgie « comme une mise en scène de la hiérarchie des sexes, les hommes étant au centre et dans le chœur surélevé, les femmes restant dans l’assemblée …. Je sens comme une agression. En fait, je ne peux pas confesser ma foi en un Jésus qui sacraliserait la place supérieure de l’homme ».
C’est ici au nom du Comité de la jupe que Gonzague JD s’exprime ainsi que Christine Pedotti sur les usages actuels de la liturgie en paroisse dans un bref dossier bien argumenté de Témoignage Chrétien n°3487 du 5 avril 2012.
Marie-Thérèse Van Lunen Chenu