Familles, genre, homosexualité : nos positions

Comment nous situons-nous en tant que catholiques, par rapport aux questions actuelles concernant l’homosexualité, la famille, le genre ?

Telle était la demande faite en octobre 2014 à FHEDLES par Évelyne Carrez  pour L’Écho d’Orsay ?

Depuis la création de nos associations, nous sommes vis-à-vis de l’Église catholique à la fois fidèles et critiques. Fidèles, non pas à sa structure hiérarchique, patriarcale et autocratique  qui est un contre témoignage à l’évangile, mais fidèles quand même, parce que c’est dans cette Église que nous avons été initiés  à la foi en Jésus  le Christ et que nous avons découvert son évangile ; critiques devant le peu d’ouverture, d’accueil, d’écoute de l’institution aux problématiques de notre temps, et encore c’est peu dire, car sa méfiance vis-à-vis de la modernité, ses craintes et son esprit de condamnation ne l’ont pas quittée. Quelques timides essais d’ouverture de notre nouveau pape François ne semblent pas pouvoir renverser une attitude séculaire. C’est pourquoi, avec d’autres groupes  chrétiens, nous nous situons sur le parvis [1]: lieu de liberté, marquant cependant une certaine proximité avec l’Église.

L’homosexualité.

Nous avons compris que l’homosexualité n’était pas un choix, encore moins une maladie, mais une donnée difficile à assumer pour ceux et celles qui découvrent cette orientation sexuelle  en eux. Leur existence nous fait comprendre que la majorité n’est pas à assimiler à la norme et la minorité à l’anormalité.  Ce sont donc toutes les minorités de sexe, de race, de culture, qui  bénéficient des recherches sur les  différences et les similitudes, qui sont le lot de tous les êtres humains. Il ne nous est plus possible de déclarer comme le fait le Catéchisme de l’Église catholique[2] que les relations homosexuelles sont des dépravations graves, intrinsèquement désordonnées et contraires à la loi naturelle. Comment des personnes dont on a ainsi qualifiée la conduite peuvent-elles être accueillies avec « respect, compassion et délicatesse », sans discrimination, comme le recommande le même catéchisme ? Comment peut-on si aisément dissocier la personne de ses actions ?

Concrètement, l’association David et Jonathan, mouvement  homosexuel   chrétien ouvert à toutes et à tous,  a contribué à former la Fédération des réseaux du Parvis dès sa fondation en 1999. Et dernièrement, lorsque nous avons voulu nous saisir de la problématique du genre dénoncée si vigoureusement par les autorités catholiques, ce sont deux associations de Parvis déjà au fait de la question, c’est-à-dire FHEDLES et David et Jonathan, qui ont sorti un hors-série de la revue Parvis en 2013, intitulé Le Genre dans tous ses états   «Le genre dans tous ses états[3] ». Nous avons voulu y faire figurer des témoignages de personnes transsexuelles et bisexuelles qui ont pu paraître dérangeants à quelques-uns, mais comme rappelé dans l’édito,  ce n’est pas parce que ces témoignages émanent d’une minorité  qu’il ne faut pas les entendre avec la souffrance, mais aussi le bonheur et la foi dont ils sont porteurs.

Le genre

FHEDLES a fondé en 2003, l’Unité de Recherches et Documentation Genre en Christianisme (GC), à un moment où en France on ne parlait guère du genre dans le grand public. C’est dire la clairvoyance de la co-fondatrice de Femmes et Hommes dans l’Eglise (aujourd’hui FHEDLES), Marie-Thérèse van Lunen Chenu, qui a perçu la fécondité d’une telle approche, surtout dans le monde catholique. Genre en christianisme a pour objet l’étude et la transformation de la construction religieuse du genre et de ses modes d’influence dans la société civile. Il propose un fonds de 2000 ouvrages consultable à la bibliothèque des Dominicains du Saulchoir (Paris), des cycles de conférences et plus récemment des ateliers.

Il n’a pas échappé à notre Église catholique que les analyses de genre avaient comme objectif de mettre à jour les processus de domination/soumission et de dénoncer l’imposition de stéréotypes présentés comme « naturels » et, pire encore, comme étant le dessein même de Dieu sur les hommes et sur les femmes. Si un certain nombre de catholiques (Cf. « Manif pour tous ») adoptent un tel ordre des choses, d’autres, dont nos groupes de catholiques réformistes, le contestent au nom même de l’évangile, du comportement de Jésus et des transformations sociales affectant le statut des hommes et des femmes. On ne vit plus au Moyen-Age, ni même au XIXème siècle : le travail professionnel des femmes dont le taux d’activité se rapproche de plus en plus de celui des hommes, la maîtrise de la fécondité, l’allongement de la vie humaine  sont des facteurs de changement irréversibles dont on ne mesure peut-être pas encore tous les effets, mais qui favorisent une meilleure égalité entre hommes et femmes. Mais cette égalité est de nature à déstabiliser complètement l’organisation hiérarchique de l’Église catholique.  Cette dernière tire de l’analogie Christ/époux, Église/épouse, la subordination des femmes aux hommes et des laïcs aux clercs. Comme le disent  dans le titre même de leur ouvrage[4], les auteures du livre récent Le déni, « Ils sont au pouvoir, elles sont au service ». Pour mémoire,  rappelons qu’en 2003, le Conseil Pontifical pour la Famille publie un Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques.  « Concept », « idéologie » ou « théorie », le genre est, dans le dictionnaire, présenté, à trois niveaux, comme le produit d’un courant féministe radical dont les catholiques doivent se défendre. La Lettre aux évêques sur la collaboration de l’homme et de la femme[4] voit dans les études de genre l’abolissement de la différence entre les sexes et la  mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité. En 2011, FHEDLES avait réagi dans un communiqué de presse à la demande de Christine Boutin de retirer les nouveaux manuels de SVT : « Nous affirmons que tous les catholiques ne partagent pas les inquiétudes et refus qui se font jour à propos des analyses de genre. Il est nécessaire que les jeunes comprennent l’origine des discriminations et des injustices entre les sexes (…) Disqualifier les théories du genre en les faisant passer pour une idéologie de l’indifférenciation est une malhonnêteté.». De même, plus récemment, c’est la fédération Parvis qui s’est manifesté : La Fédération des Réseaux du Parvis tient à exprimer son incompréhension face à la décision  prise par Mgr Brunin d’annuler l’intervention de la philosophe Fabienne Brugère dans le cadre de la formation nationale des délégués diocésains à la pastorale familiale, décision prise sous la pression des milieux les plus traditionalistes de l’Église Catholique[5]. Cette professeure de philosophie, spécialiste du « care » devait travailler sur « Prendre soin de l’autre, un appel lancé à tous » mais sa présence a été contestée au prétexte qu’elle a aussi, dans le cadre de son travail, abordé la question du genre… »

Ce n’est plus de la peur mais de la panique que manifestent de telles réactions de l’institution. L’opuscule « Le genre dans tous ses états », qui a permis une collaboration fructueuse entre le mouvement homosexuel et FHEDLES, avait comme objectif de  savoir de quoi l’on parle quand on dit « genre », de dépassionner, d’apaiser, d’éclairer, de travailler.  Certes, continuons à travailler  à de nouvelles théologies de l’Église, du ministère, des relations partenariales.

La famille

La famille nucléaire telle que la décrit le drapeau de la « Manif pour tous », un homme, une femme, un garçon, une fille, n’est pas un modèle universel ni dans le temps ni dans l’espace. On ne peut en faire le modèle de la famille chrétienne. Jésus lui-même ne s’est pas montré tendre pour les relations familiales. La fédération des réseaux du Parvis avait pris position vis-à-vis des évêques avant la manifestation anti mariage pour tous du  13 janvier 2013 :

« Trop c’est trop ! L’ampleur que prend l’implication de l’épiscopat français dans la préparation de cette manifestation ne peut pas nous laisser indifférents.
Tout d’abord, rappelons que les évêques n’ont aucun droit à parler au nom des catholiques, qu’ils n’ont jamais consultés. L’épiscopat dit vouloir un débat sur ce sujet pour faire entendre l’opinion publique française, alors qu’il ne tient aucun compte de l’opinion publique dans l’Église catholique, ni sur ce sujet, ni sur aucun autre. »

            FHEDLES a réagi en décembre 2013 dans un communiqué de presse au sujet du questionnaire des évêques destiné à préparer à l’automne 2014 un synode sur la famille. Celui-ci est bien dans la ligne annoncée en introduction : fidèles mais critiques. Nous nous réjouissons… mais…

« FHEDLES se réjouit de la consultation des évêques du monde entier en vue du synode sur la famille. Notre association se réjouit de cette mise en valeur de la communion des Églises et de la possibilité donnée à tous les fidèles de contribuer à la réflexion sur ce qui les concerne au premier chef, y compris sur des sujets qui jusqu’à présent étaient censurés par Rome dans les synodes locaux. FHEDLES se réjouit aussi de la plus grande attention pastorale aux familles telles qu’elles sont, à l’insistance sur la miséricorde de Dieu. Cette disposition d’esprit est une bouffée d’air par rapport à la tentation cléricale de taire la réalité pour ne pas la cautionner, de défendre des « valeurs » plutôt que des personnes concrètes, ou de ressasser la norme et l’idéal comme si la « saine doctrine » ouvrait les cœurs au Christ.

Mais…nous regrettons toutefois le peu de temps laissé à la réflexion collective, qui ne nous permet de répondre que brièvement à chacune des questions.

Surtout, nous souhaitons mettre en lumière deux aspects importants qui nous semblent avoir été négligés alors qu’ils sont peut-être la nouveauté primordiale de Jésus concernant la compréhension et la vie des familles : la primauté de la personne dans l’accueil de la foi et l’égalité femmes-hommes. » (Suivent deux développements sur ces sujets.)

En lisant le questionnaire des évêques, ce qui frappe c’est l’éloignement  entre les questions posées et la vie réelle. Nous avons dû préciser en ce qui concerne le désintérêt vis-à-vis de l’enseignement de l’Église sur la famille qu’un des facteurs culturels de cet état de fait est l’autonomie des personnes et des familles. Elles n’acceptent plus qu’on leur dicte une conduite dans un domaine lié à l’intimité. La conscience personnelle s’est éveillée ainsi que la responsabilité qu’on a de ses actes et comportements. De même à  propos de la loi naturelle toujours proposée comme un idéal, nous précisons que l’anthropologie actuelle est sortie du « tout naturel ». Elle soutient que l’être humain est un être de culture donc un être de progrès. Enfin, à la dernière question portant sur des propositions éventuelles, nous répondons à notre tour par une question : sur quel fondement évangélique repose la place mineure et dévalorisée, réservée à la femme dans l’Église catholique et dans les rôles reconnus comme siens dans la doctrine chrétienne du mariage ?  Selon les Évangiles, Jésus se situe en rupture avec la culture de son temps et de sa société. Il refuse toute discrimination envers les femmes de son entourage : étrangères, marginalisées, pécheresses… Il va même jusqu’à confier aux femmes la toute première annonce de sa résurrection.

Nous nous sommes situé-e-s comme fidèles et critiques au sein de notre Église. Il convient de préciser que notre fidélité est parfois mise à rude épreuve ; la resacralisation récente de nos liturgies : encens, génuflexions, courbettes en tous genres tend à éloigner les femmes de l’autel. Nous nous réjouissions de voir les mentalités évoluer devant le sérieux et la compétence des femmes en responsabilité liturgique, signe de leur responsabilité dans les domaines de l’évangélisation, la catéchèse, la préparation aux sacrements, mais les voici à nouveau repoussées  dans l’invisibilité. Peut-être aussi aurait-il fallu préciser, critiques parce que fidèles. Si nous n’avions plus rien à faire de l’Église catholique nous ne perdrions pas de temps à la critiquer. Mais encore, pour que notre fidélité soit autre chose que de la nostalgie, il convient que notre critique soit créatrice, inventive voire transgressive. La transgression n’est pas le franchissement d’une ligne blanche par  colère ou par fronde, mais c’est tracer un chemin là où il n’en existe pas encore.

Alice Gombault

FHEDLES

[1] Fédération Réseaux du Parvis, 68 rue de Babylone 75007 Paris
[2] Art. 2357 et 2358
[3] Le Déni, Enquête sur l’Église et l’égalité des sexes, Maud Amandier, Alice Chablis, Ed. Bayard, 2014
[4] Lettre envoyée aux évêques par la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde, en juillet 2004, Josef Ratzinger.
[5] cf. La Croix, 13 mars 2014

Auteurs·trices : Alice Gombault

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